Il s’appuyait sur un livre puis sur un autre et traçait sa voie par écrit, de texte en texte. Un personnage atypique, nullement excentrique cependant. On pourrait dire qu’il entretenait avec le monde et, au coeur de ce monde, avec ses proches et lui-même, des rapports particuliers. Moins attaché aux choses que la majorité des gens, il était particulièrement insoucieux du paraître. On ne le distinguait pas dans la foule, sauf que la foule, justement, il l’évitait autant que possible. Il planait un peu, préférait le rêve à la réalité, les mots aux choses. Il n’appartenait pas à la catégorie des gens utiles ; eût-il émis des prétentions matérielle, ce dont il n’éprouvait guère le besoin, on l’aurait traité de parasite.
Lui-même avait conscience de cette particularité, qu’il n’avait pas vraiment cherchée et qu’il ne cultivait pas. C’était ainsi, nulle raison de chercher plus loin. Depuis son adolescence, il avait pris ce chemin sinueux et ombragé et il ne l’avait plus quitté. Il passait l’essentiel de son temps à se poser des questions et plus il s’en posait, plus les réponses se dérobaient à lui, plus il s’enfonçait dans l’incertitude, mais plus il était convaincu d’avoir raison de persévérer.
On lui avait dit une fois : au fond, vous n’êtes qu’un intellectuel. Vous usez vos yeux sur les livres comme un professeur et vous noircissez du papier comme un écrivain, bien que vous ne soyez ni l’un ni l’autre. C’est la pensée qui vous intéresse, alors que, pour pour les « vrais gens », c’est l’action qui compte. Vous flottez dans l’abstraction, nous vivons dans le concret. Vous passez à côté de la vraie vie, nous on est en plein dedans. Vous vous croyez intelligent, mais vous n’êtes qu’un imbécile heureux. Vous avez une vie minable, vous n’êtes ni riche ni célèbre, vous n’êtes qu’un raté.

Peut-être bien, se disait-il, et il retournait à ses livres.