v. 1

Essais d’herméneutique II, pp. 154 – 155

Ricoeur définit le texte de la manière suivante : tout discours fixé par l’écriture.
Cette définition ne laisse pas de poser d’importants problèmes.
Elle suggère en effet que pour qu’il y ait écriture, donc fixation d’un discours, il faut qu’il y ait préalablement discours discours non fixé. Or qu’est-ce qu’un discours non fixé par l’écriture sinon une réalisation de la parole ?
Le texte, ainsi, ne serait que de la parole fixée.
A l’évidence, cette définition ne me convient pas, pas plus qu’elle ne convient à Ricoeur lui-même.
Elle semble pourtant bien s’inscrire dans la ligne saussurienne. Pour Saussure, il n’y aurait pas de différence entre texte et parole, dans la mesure où toutes deux seraient des « réalisations de la langue dans un événement de discours ».
« L’attention presque exclusive donnée aux écritures phonétiques semble confirmer que l’écriture n’ajoute rien au phénomène de la parole, sinon la fixation qui permet de la conserver. » (Ricoeur, p. 154)
Puisque nous savons que cette position ne sera pas retenue par Ricoeur, demandons-nous pourquoi il aborde les choses de cette manière, donnant provisoirement l’impression de jouer ce jeu-là.
Pour le linguiste Saussure, parole orale ou « parole écrite » reviennent au même. Il faut en conclure que la linguistique saussurienne (étude de la langue) n’a pas besoin de distinguer.
Ricoeur fait remarquer ensuite que ce qu’on écrit, on l’écrit justement parce qu’on ne le dit pas. « La fixation par l’écriture survient à la place où la parole aurait pu naître. »
En d’autres termes, l’écriture construit directement son discours, sans passer par le stade de la parole. C’est ou bien ou bien. Il y a donc un discours parole et un discours écriture, chacun ayant ses caractéristiques propres.
On y verra plus clair en confrontant la parole ou l’écrit aux manières dont elles sont reçues.
La parole, entendue, suscite une compréhension immédiate dans le cadre d’une écoute, puis, éventuellement, une réponse. L’écriture, donnée à voir, suscite une lecture.
Il y aurait dans l’écriture un vouloir-dire particulier, qui déboucherait sur la lecture. J’écris dans l’intention d’être lu.
Je ne suis pas certain que les choses se passent toujours ainsi, mais, pour l’instant, efforçons-nous de suivre Ricoeur.
1.Le rapport écrire-lire n’est pas un cas particulier du rapport parler-répondre.
2. « L’écriture appelle la lecture selon un rapport qui (…) nous permettra d’introduire le concept d’interprétation. »