Pourquoi l’écriture, absente de l’horizon du plus grand nombre, compte-t-elle tellement pour quelques-uns ?
Cette question, on la pose souvent aux écrivains et ceux-ci éprouvent un certain embarras à formuler une réponse qui ne soit pas une pirouette ou un pis-aller, montrant ainsi que les passions nous tiennent sans forcément fournir leurs raisons.
Si nous souhaitons y voir un peu plus clair, laissons l’écrivain à ses doutes et tournons-nous vers l’écriture elle-même ou, plus précisément, vers ce dispositif complexe, constitué de la subjectivité du scripteur, du système symbolique du langage, du processus d’écriture et de réécriture du texte, des lecteurs, du monde enfin, système dont l’écriture proprement dite n’est qu’une dimension parmi bien d’autres. Nous tenterons d’en produire un modèle théorique.
Dès lors, notre question initiale se transforme quelque peu. Il s’agit moins de savoir pourquoi l’on écrit qui compte ici, que de mettre en lumière ce qui se passe quand on écrit, dans quel processus le scripteur se trouve pris à son insu dès lors qu’il l’a amorcé.
Ce que le sujet peine à dire, parce que cela échappe à la représentation qu’il se fait de lui-même en train d’écrire, l’examen du dispositif d’écriture, par le décentrement qu’il autorise, peut le rendre manifeste.
J’aimerais surtout montrer qu’en dépit de sa matérialité, de son existence objective apparemment détachée de la psyché du scripteur, le texte ne cesse jamais d’appartenir au monde intérieur de celui-ci.
L’analyse du dispositif d’écriture remet en question les schémas traditionnels opposant monde intériorité et extériorisation. La production du texte est comme la cartographie de ce monde interne-externe dont l’écrivain se trouve être, délibérément ou malgré lui, l’explorateur… passionné.