Sait-on pourquoi l’on écrit ? Sait-on pourquoi l’on décide un beau jour de publier ce qu’on a écrit, voire d’écrire en vue de publier ?

Pas besoin de se torturer les méninges. On peut trouver des quantités de réponses plausibles à ces questions, mais jamais on n’aura LA réponse. Ou alors, attention ! Si ce devait être le cas peut-être serait-ce la fin de l’écriture.

Il faut distinguer entre les questions qui appellent des réponses et celles dont la fonction est seulement de nous maintenir en alerte, de nous forcer à creuser sans cesse, celles qui n’ont pas de réponses possibles mais qui structurent notre désir, notre volonté d’abdiquer, de ne pas céder au néant, à la mort.

La question de savoir pourquoi l’on écrit constitue donc peut-être le principal moteur de l’écriture, voire le seul. Toute page écrite témoignerait de la validité de la question, vaudrait comme réponse, à condition d’en appeler une autre, et encore une autre, comme si cela devait durer toujours.

Au fond, l’écriture, c’est une manie…

Il est vrai que cela fonctionne comme une manie, comme tout ce qui venant de soi s’impose à soi comme plus fort que soi.

A cela près que cette manie-là reste avouable et qu’elle a même une fonction sociale. Mon écriture ne me sert peut-être à rien, à moi, elle me paraît peut-être vaine, à moi, mais il faut bien reconnaître que notre société se nourrit d’écriture, qu’elle se comprend elle-même (mal) grâce à l’écriture, que l’espace de la pensée est un immense maillage de textes. A n’aborder la question de l’écriture que du point de vue de l’individu à demi aveugle, tiraillé dans ses propres contradictions, enfermé dans sa bulle, on ne peut guère en apprécier la portée véritable.

Faut-il en conclure que quiconque écrit a le devoir moral de publier, parce que l’humanité souffre d’une véritable fringale des petites merveilles qu’il pond bien au chaud dans son poulailler ?

Bien sûr que non.

Une forme de malentendu paraît nécessaire entre ceux qui écrivent et ceux qui pourront lire ce qui a été écrit. L’offre n’est pas adaptée à la demande. L’offre se cherche et la demande ne se connaît pas vraiment. Le hasard joue donc énormément là-dedans. Sait-on même ce que vaut véritablement ce qu’on publie, en particulier lorsque ce qui a été écrit ne répond à aucune commande extérieure, ne tire pas sa raison d’être d’un projet déterminé ?

On évitera de faire le malin, de détourner sa propre écriture pour flatter son ego, car il arrive bien souvent qu’un texte vaille mieux que son auteur. C’est un grand mystère, mais c’est ainsi.

Inspirons-nous plutôt de ces gens qui veulent se défaire de vieux bibelots ; ils ne se résignent pas à les balancer à la poubelle. Alors, le jour de la récolte des encombrants, ils viennent les déposer bien doucement sur le trottoir avec un petit pincement au coeur en espérant que quelqu’un en aura l’utilité et les emportera.