Pour tenter d’éclairer un peu les objectifs de ce blog

Qu’on écrive ou qu’on parle, si certain que soit celui qui parle de ce qu’il avance, cela ne sera jamais recevable autrement que sous la forme  « il est possible que telle chose soit ainsi ou ainsi ». Cela vaut aussi bien pour l’énoncé d’un fait que pour l’expression du doute : « Il est possible que telle chose soit douteuse », ou du devoir : « Il est possible que telle action doive être accomplie ».
Mais pourquoi parler de possibilité ? Si quelqu’un dit : « Le ciel est bleu aujourd’hui », il affirme le fait, tout simplement. Certes, mais nous n’examinerons pas ici les choses du point de vue de celui qui parle, mais de quiconque reçoit cet énoncé, oralement ou par écrit.
Considéré hors de tout contexte, pris pour lui-même, l’énoncé : « Le ciel est bleu » est dépourvu de tout élément de preuve, de tout lien avec une réalité quelle qu’elle soit. Il énonce la possibilité qu’une entité appelée ciel soit de couleur bleue à un moment déterminé. Il est bien vrai que tout discours nous parle du monde, mais il ne faut pas attribuer au discours plus de vertus qu’il n’en a.
Quel intérêt avons-nous à pinailler ainsi ? Pinailler, ici signifie user des mots d’une manière bizarre.
De facto, tout ce que nous voulons dire, c’est qu’il ne suffit pas d’affirmer un état de choses pour qu’il soit. Une limite infranchissable sépare ce qui est dit de ce dont il est question et un nombre considérable d’erreurs funestes découlent du non-respect de celle-ci.
Et si nous le disons de cette manière, en pinaillant, en apparence du moins, c’est que nous allons constamment évoquer ici deux formes d’utilisation du langage où il semble qu’on parle du réel alors que celui est complètement hors champ : la philosophie et la littérature.
La philosophie d’abord, parce qu’elle fabrique constamment quelque chose qui semble être, qui devrait être du réel et qui ne peut pas en être : elle met constamment en scène des entités immatérielles (on dit abstraites), auxquelles nous sommes toujours tentés d’accorder un statut ontologique. De quoi parlons-nous au juste quand nous utilisons des noms tels que « esprit », « conscience », « valeur », « vérité », ou simplement le verbe « être » ?
Quelle contrainte le discours philosophique peut-il exercer sur le réel ? Et si jamais il n’en exerce aucune, à quoi sert-il ?
La littérature, du roman à la poésie en passant par tous les genres littéraires possibles, nous dit-elle quelque chose et, si oui, que dit-elle ?
Qu’est-ce qui distingue la philosophie et la littérature des autres usages du langage, dans la vie quotidienne ou dans le discours scientifique ?
– Une chose toute simple, qui s’appelle l’expérience.
Et encore l’expérience n’est-elle pas ce que nous croyons ordinairement.
Je me promène dans la rue au soleil avec un ami et je lui dit : « Le ciel est bleu aujourd’hui. » Un simple coup d’oeil permet de vérifier que cela est vrai. On a donc l’impression de se trouver en même temps dans le langage et dans le réel ou, que ces deux modalités sont inextricables. Nous supposons alors que parler vrai consiste à dire les choses telles quelles sont. Le caractère problématique du langage est complètement neutralisé. Il en va de même pour le discours scientifique. Une proposition est scientifique si sa vérité est confirmée par l’expérience, au point que nous pouvons dire que le discours scientifique rend compte des lois qui régissent la nature. Mais qu’est-ce qu’une loi de la nature ? Ou plutôt, qu’est-qui dans le réel correspond à telle proposition considérée comme une loi de la nature ?

Nous pensons très bien savoir ce que c’est que la vérité. Et nous avons besoin de le savoir pour étayer nos choix, pour échapper aux périls qui sans cesse nous guettent.

Ici, nous allons procéder avec le langage de manière contre-intuitive, pour déboucher sur la notion de croyance.
Comparons : 1) Le ciel est bleu ; 2) Le ciel est bleu ou pas.
La première proposition n’engage que celui qui l’énonce. Ce qui compte ici, ce n’est pas la nuance, c’est le fait que tout discours, même le plus objectif, le plus impersonnel, est l’acte assumé d’un « Je », acte consistant à produire un énoncé tenu pour valide, à certaines conditions cependant, car je puis trouver opportun de mentir.
Les textes qui figurent dans ce blog ne dérogent pas à cette règle.
Que peuvent valoir vraiment de tels énoncés ? On est bien obligé de se poser cette question, car tout ce qui est dit peut être entendu et tout ce qui est écrit peut être lu, a fortiori si cela se trouve sur internet.
Certaines ne posent apparemment aucun problème, parce qu’elles portent sur des états de choses que nous connaissons tous. Nous savons que la tour Eiffel se trouve à Paris ; nous savons que la Lune est un satellite de la Terre. Non seulement nous le savons, mais encore nous pouvons le vérifier aisément par nous-mêmes.
Méfions-nous cependant de certaines affirmations données pour démontrées. Affirmer que la Terre est un sphéroïde tournant sur lui-même, que le nombre pi est irrationnel, qu’une molécule d’eau se compose d’un atome d’hydrogène et de deux atomes d’oxygène, cela ne nous pose aucun problème parce que nous avons appris que ce sont des vérités scientifiques, et aussi parce que nous nous sentirions ridicules si nous n’y adhérions pas. Mais avons-nous pris la peine de démontrer nous-mêmes tout cela ? Nous le répétons de confiance ; à certaines conditions, que nous ne maîtrisons pas forcément, ce sont des vérités ; mais pour nous cependant, dans notre univers à nous, ce ne sont jamais que des croyances.
Ne méprisons pas les croyances. De tous ordres, elles déterminent notre quotidien aussi bien que les grandes décisions qui changent la vie. Il ne s’agit pas seulement de savoir si le Père Noel existe ou non, s’il y a ou non une vie après la mort ; nos croyances ordinaires sont bien plus basiques et nécessaires : nous croyons que demain en nous réveillant nous serons la même personne que ce soir en nous couchant ; nous croyons  qu’il ne nous arrivera rien quand nous prendrons le volant de notre voiture ; nous croyons que les gens ne nous attaqueront pas dans la rue ; nous croyons que notre médecin va nous soigner, que notre épicier nous vend des produits comestibles. Bref, c’est sur la base d’une foule de croyances de tous ordres et non démontrées que nous établissons des relations de confiance avec le monde, nos proches et nous-mêmes. D’autres croyances par ailleurs nous poussent à la prudence dans certaines circonstances, etc.
Nous reviendrons ultérieurement sur cette notion de croyance, constitutive de l’élaboration de notre monde personnel, fondatrice de cette autre croyance que nos proches, nos voisins, nos contemporains et nous-mêmes partageons le même monde et que ce que nous pensons savoir de ce monde est compatible avec ce qu’en savent tous les autres. Rien de tout cela ne va de soi si on prend la peine d’y réfléchir.
Ecrire c’est presque toujours faire état de ses croyances. C’est très souvent d’ailleurs par l’écriture que nous parvenons à rendre explicites les ressorts cachés de notre existence, ce qui nous pousse en avant comme ce qui nous freine, ce qui nous éclaire comme ce qui nous abuse.
La plupart des articles qui figureront dans ce blog procèdent de ce besoin d’explicitation, même s’ils touchent à des questions d’intérêt plus général.
A partir de cette notion de croyance, qui constitue un point de départ fécond, nous essaierons d’évaluer notre besoin de comprendre, la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de nous situer dans le monde. Il s’agit moins de se donner des moyens de savoir de quoi notre monde est fait, que de comprendre quelles possibilités s’ouvrent devant nous.
Une telle entreprise ne saurait déboucher sur quelque certitude que ce soit. Elle n’est pas la quête d’une vérité préexistante mais un questionnement incessant portant non sur ce qui est mais sur ce qui prend forme en nous dans l’expérience de la vie.
Dans ce blog, la question du langage occupe une place centrale. En effet, il n’est nul questionnement qui ne s’exprime par des mots. S’interroger, c’est soulever la question même de l’interrogation et des outils qui la rendent possible.
On se trouve forcément tenté de comprendre ce qui nous arrive. On tente de savoir comment cette question se laisse formuler et quelles réponses plausibles on peut lui apporter. Faute de pouvoir saisir la chose même, on esquisse des modèles, on se hasarde dans un discours métaphorique qu’un rien peut défaire. C’est renouer avec les jeux de l’enfance : on dirait que les choses sont ainsi et alors il se passerait cela…
Il sera question de l’écriture, à travers des hypothèses indémontrables, surgies pourtant sur le terreau de l’expérience.
Il est vain de prétendre dire une fois pour toute en quoi consiste un processus créatif ; mais cela a un sens de s’évertuer à rendre compte de ce processus, de coller à l’expérience, de construire au moyen de métaphores qui, si elle n’atteignent jamais la chose même peuvent donner lieu à une séquence de représentations provisoires mais en accord avec l’expérience vécue.
Il y aura lieu également de s’interroger sur la dimension collective de l’écriture. Activité solitaire en apparence, elle est pourtant un constant recyclage du flux de discours qui nous traverse en permanence.
Et puis, il y a beaucoup d’affirmations que nous sommes tentés de formuler qui n’engagent que nous, qui ne sont même pas démontrables, auxquelles nous adhérons aujourd’hui mais dont nous douterons peut-être dans six mois.
Ce sont toutes celles par lesquelles nous tentons de rendre compte de processus qui se déroulent sans que nous puissions les observer directement et qui pourtant tiennent une place énorme dans notre existence.

Le problème, c’est qu’une fois qu’on a commencé à se poser toutes ces questions, on ne peut plus s’arrêter.
C’est aussi que dans toutes les circonstances de notre vie, nous avons besoin d’un échafaudage complexe de croyances diverses pour nous soutenir, pour nous fournir les raisons qui nous conduiront à agir plutôt que de ne rien faire, à vivre plutôt que de se laisser dépérir.
On peut exiger de soi de ne rien publier ou même de ne rien écrire qui ne soit certain, à ne formuler aucune hypothèse qui ne soit démontrable, à ne jamais s’aventurer dans le domaine du conjectural. Les croyances seraient des affaires purement privées, on devrait donc les garder pour soi.
On peut aussi affirmer en permanence que ce qu’on avance n’engage que soi, que dire « noir » ne signifie pas qu’on ne puisse dire « blanc » aussi, que tout est incertain, que tout est affaire d’opinion, qu’une opinion en vaut une autre, etc.
Le problème, c’est que nécessairement nous opérons des choix, que nous prenons des décisions, que nous nous engageons et que cela ne peut se faire que si nous tenons pour vraies les croyances qui nous portent.
Tout le problème alors est de savoir trier entre les croyances, de se donner des critères pour cela, d’agir avec prudence certes, mais aussi avec fermeté.
Disons que le noyau de ce blog est constitué par la question : à défaut de savoir, que pouvons-nous croire ?
Ce monde inaccessible en lui-même, en tant que réel en soi, chacun de nous en possède une modélisation singulière qu’il trouve en grande partie toute faite et qu’il élabore en permanence et en grande partie à son insu. La science nous aide à construire ce modèle personnel, mais elle ne couvre qu’un champ limité. Pour le reste, il nous appartient, tout au long de notre vie et en contact étroit avec tous ceux qui nous entourent, de construire notre univers en espérant qu’il sera compatible avec celui d’autrui. Les grandes machineries de l’information, les grandes institutions, la société, le langage, sont de grand opérateurs de croyances.
La question devient alors : qu’est-ce qui nous fait devenir ce que nous sommes ?
Tout cela ne nous tombe pas dessus sans que nous ayons voix au chapitre.
La plupart des textes de ce blog procèdent du désir d’y voir plus clair, de savoir comment, à défaut de pouvoir apporter des réponses à certaines questions fondamentales mais insolubles, nous pouvons tenter un mouvement vers plus d’intelligibilité, plus de maîtrise, plus de compréhension de ce qui nous arrive.
L’âge des grandes Autorités est révolu. Nous ne pouvons plus nous résigner à prendre pour vérité et justice ce que le Maître a dit, simplement parce que c’est le Maître (ou le Prophète, ou Dieu lui-même) qui l’a dit.
Mais nous ne savons pas encore gérer l’incertitude, nous orienter dans un processus qui nous échappe.
Pour cela, nous devons tenter de comprendre ce que c’est que penser, tenter de nous représenter ce qu’est une pensée, comment une pensée peut se former en nous.
Ce souci nous oriente directement vers la question du langage et, par là vers celle de l’écriture ; de l’écriture prise à sa source, comme création de sens, mais aussi de l’écriture prise dans son résultat, sous la forme de l’immense accumulation de textes que nous portons avec nous et qui d’une certaine manière nous portent.