Le déclic m’est venu tardivement, alors que je m’interrogeais sur la manière de reprendre ce blog sans répéter les erreurs qui me l’avaient fait abandonner. Un blog vitrine rempli de jolis bibelots ne correspondait pas du tout à mon désir. A se soucier de n’y placer que de beaux textes, on ne peut édifier qu’une sorte d’éparpillement naïf de jolies pierres semées au milieu de nulle part. Impossible, dans ces conditions, de conduire une réflexion cohérente, de structurer une problématique et d’en rendre compte.
Je savais également que je n’écrirais jamais un livre. Probablement parce que j’en suis incapable, mais surtout parce que la forme même du livre suppose une une position de maîtrise, laissant supposer qu’on a quelque chose à expliquer, une vérité à faire connaître.
Or je suis tout le contraire d’un «maître» habilité à déverser du haut de sa chaire de quasi-vérités sur la tête de quasi-ignorants. Comment pourrais jamais imposer à qui que ce soit une prétention à l’autorité à laquelle je ne crois pas un instant ?
Ma position est bien plutôt celle d’un égaré s’efforçant de tracer une sente dans la direction qui lui paraît la plus prometteuse et prompt à reconnaître sans amertume qu’il se fourvoie plus souvent qu’à son heure. Rebroussant chemin sereinement, il se hasarde en de nouvelles percées. Marche erratique mais obstinée, dont on ne sait pas si elle mérite le nom de progression, mais qui témoigne en tout cas d’une histoire, l’histoire d’un questionnement, histoire sans fin parce que tout simplement elle ne peut pas en avoir.
Dans ces condition, un livre, dont la forme même appelle une conclusion à un moment donné ne pourrait que véhiculer une illusion d’achèvement. Si je m’y risquais, malgré tout, mon travail n’aboutirait jamais, le livre serait en permanence construit et déconstruit, toujours dissocié dans sa propre dynamique de tout ce qu’il pourrait offrir à lire à chaque instant. En un mot, ce ne serait pas un livre !
Partir à l’aventure, quoique poussé par une impérieuse nécessité, ne rien savoir à l’avance des difficultés et des étapes majeures du chemin, prendre le risque de se perdre encore et encore, c’est mon lot et je m’y reconnais.
Pour autant, cette errance n’est pas de pur hasard. Elle répond à une inquiétude profonde devant les impasse du monde d’aujourd’hui et vise à trouver le moyen de dire ce qui peine le plus à se dire aujourd’hui : Que voulons-nous ? Comment le formuler ?
Arrivés à un des points les plus critiques de l’histoire humaine, s’il est juste de mettre en œuvre toute notre expertise pour tenter de relever le défi qui s’impose à nous, il n’importe pas moins de rappeler que cela ne saurait suffire, que ce serait peut-être même ajouter du désordre au chaos, puisque tout cela dépend en dernière instance du sens que nous pouvons conférer à notre présence au monde, c’est-à-dire tout simplement à notre existence ici, maintenant, le temps d’une vie. Nous avons évoqué dans un autre article le déficit de pensée qui caractérise le moment présent. Ce déficit, c’est justement l’abdication devant l’exigence du sens, un sens à créer en permanence, un sens toujours à refaire. Telle est notre vérité et il est beau de l’assumer pleinement
Cet impératif s’adresse à chacun d’entre nous. C’est vraiment une question intime. Mais, de la même manière qu’un marcheur rencontrant d’autres marcheurs peut décider de poursuivre sa route avec eux (quitte à se séparer d’eux si les chemins divergent), un effort de pensée gagne au partage, à la confrontation, à la mise à l’épreuve.
Nous nous situons là aux antipodes de la situation actuelle de la philosophie, qui est devenue un domaine d’expertise où des professeurs dûment autorisés enseignent à des élèves soucieux d’abord d’une certification officielle. J’hésite donc à user du mot «philosophie», même si c’est bien de cela qu’il s’agit.
Ce blog peut donc être compris comme une sorte de journal d’errance, pouvant se limiter à un usage strictement personnel, quoique, rendu public, déposé là, il puisse éventuellement réjouir d’autres errants de rencontre.
je suis tout à fait prêt à vous suivre dans vos « errances » que je trouve stimulantes et très pertinentes. Et je me réjouis que vous redonniez signe. Ces notules sont très précieuses