La clé de l’accès à cet au-delà du principe de plaisir est donc la compulsion de répétition. Mais pour y parvenir, il nous faudra montrer clairement en quoi cette dernière se révèle irréductible au principe de plaisir, ce qui ne saute pas aux yeux.
Premier constat, elle est partout présente, même si elle ne l’est jamais à l’état pur. Plus encore, elle semble toujours, enfin presque toujours, explicable d’une manière ou d’une autre. Freud insiste beaucoup sur le fait qu’elle se manifeste aussi bien dans la vie normale que dans les situations pathologiques.
Deuxième constat, elle surgit au coeur de la cure analytique, dans la mesure où ce qu’on appelle la névrose de transfert en est clairement la manifestation. Pour le montrer, Freud revient sur l’histoire de la psychanalyse et montre de manière saisissante comment s’est construite étape par étape ce qu’on appelle la relation analytique et, en particulier, la position de l’analyste dans cette relation.
On peut se représenter celle-ci comme un jeu dont le principe serait de fournir au patient le moyen de sortir de sa pathologie par la maîtrise de quelque chose de très intime à quoi il ne peut avoir accès.
Cette donnée inconsciente, inaccessible au sujet, ne peut être aperçue que par un Autre. Non que cet autre soit plus savant ou plus inspiré, mais parce qu’il faut être dans la position d’un Autre pour être en mesure de « voir » ce qui se profile de manière très fugitive dans les gestes, les paroles, les intonations du patient.
Le premier dispositif de l’analyse place l’analyste dans la posture de celui qui peut « voir » et communiquer au patient ce qu’il a « vu ». Nous retrouvons la relation hiérarchique traditionnelle entre un ignorant censé attendre la vérité et celui qui détient la puissance du savoir.
Le dispositif suivant marque l’engagement du patient dans le processus de la cure. Ce dernier n’est plus celui qui reçoit une vérité extérieure ; il doit parvenir à se souvenir lui-même de ce qui avait été occulté. L’analyste est toujours l’interprète, mais l’interprétation n’atteint son but que si le patient est en mesure de la confirmer, ayant éprouvé le retour à la conscience d’un souvenir refoulé.
Enfin, une découverte essentielle va conduire à la troisième et ultime version de la cure. Le patient a une façon très particulière de « se souvenir ». Il ne le fait pas en retrouvant le refoulé sous la forme d’une représentation, mais en le revivant au présent, dans l’espace réduit de la cure, l’analyste se trouvant mis en cause directement.
C’est là que nous pouvons mesurer la différence profonde qui distingue ces deux formes de retour du passé que sont d’un côté la remémoration et, de l’autre, la compulsion de répétition (compulsion à répéter, à revivre).
Se souvenir, c’est évoquer un passé révolu sans jamais remettre en cause son caractère passé ; répéter, c’est vivre en tant que pleinement présent un événement qui, pourtant, a eu lieu dans le passé, et donc ne jamais s’en dégager.
Et c’est à propos de cette irruption de la compulsion de répétition dans la cure qu’il devient possible de prendre en défaut le principe de plaisir. Celui-ci opère par un retour à l’équilibre tandis que la compulsion de répétition tend à relancer sans fin l’excitation, la tendance au déséquilibre.
Plus encore, c’est toujours quelque chose de pénible qui est ainsi revécu. Aucun plaisir d’aucune sorte ne peut en découler directement.
On pourrait conclure ici, mais une remarque de Freud très importante mérite qu’on s’y attarde quelque peu.
Il commence par établir que la compulsion de répétition, dans la cure, constitue toujours la reviviscence d’un fragment de la vie sexuelle infantile. Et il surenchérit aussitôt pour nous dire que cela ne constitue jamais une expérience heureuse, dressant un tableau très sombre de la dissolution de l’Oedipe. On peut traduire cela par l’idée que l’Oedipe constitue l’expérience amoureuse la plus intense et la plus dramatique que puisse éprouver un être humain, et qu’elle se termine fatalement par un échec. L’enfant n’étant jamais à la hauteur de son désir.
Il y a donc deux étape de la sexualité. La première a lieu dans la prime enfance et la seconde, après une période de latence, à partir de la puberté. Or, nous sommes toujours et définitivement marqués par la première.
La compulsion de répétition doit être attribuée au refoulé inconscient.
Elle est contenue par le moi qui tente de l’annuler. Et là, toute une réflexion sur le moi s’impose, puisque cette action de contention, ce refoulement, bien que provenant du moi, opère à l’insu du sujet. Une partie du moi représente en quelque sorte les intérêts du sujet, mais dans son dos et d’une manière le plus souvent brutale.
Cette relance inlassable, cette insistance obtuse, ce retour incessant de ce qui ne peut en aucun cas être tenu pour du plaisir nous oblige à réduire le champ dans lequel le principe de plaisir peut effectivement dominer.
Le modèle homéostatique se révèle alors caduc et l’on peut légitimement se demander comment il se fait que notre organisme et notre psyché constituent une totalité organisée et durable et donc pourquoi nous ne nous décomposons pas sur place tout simplement. Si nous entendons cette interrogation, alors nous sommes bien partis pour comprendre cette fameuse pulsion de mort dont il va être bientôt question.
Ce que Freud nous dit avec insistance, c’est justement que cette totalité n’est pas si organisée que cela et que sa durabilité est bien faible puisque tout être vivant finit toujours par mourir.
En gros, nous pouvons dire qu’en prenant les choses par un bout nous pouvons constater un réel acharnement survivre et à conserver son intégrité, mais que si nous les abordons par l’autre bout, nous voyons à l’oeuvre, silencieuse mais toujours insistante, une tendance à la désorganisation et au retour de l’inanimé à l’inanimé.