La compulsion de répétition

La deuxième partie de ce texte a pour objet la mise en évidence de la compulsion de répétition, d’une manière descriptive, à travers deux exemples que Freud a voulus très différents : l’un éminemment pathologique, la névrose traumatique, et l’autre, le jeu du très petit enfant, qui relève de la vie la plus normale qui soit.
Ne nous laissons donc pas abuser par les apparences : ce n’est pas la névrose traumatique elle-même ni le jeu d’enfant qui sont ici expliqués. Le propos vise seulement à dégager de ces deux situations profondément différentes le même processus répétitif insistant et sans fin : la compulsion de répétition.
Il peut arriver qu’on soit un peu dérouté par ce chapitre tout à la fois clair et peu explicite. Freud y mobilise la pièce maîtresse d’une démonstration qui n’aura lieu que bien plus tard. Le lien avec le chapitre 1 n’est pas évident et ce n’est que dans la troisième partie que Freud abattra ses cartes et nous fera comprendre que cette compulsion de répétition ne « colle » pas avec le modèle décrit au premier chapitre.
Cela dit, elle n’est pas forcément plus « grave », plus vertigineuse que le reste. C’est juste qu’elle constitue cette pièce insituable qui peut nous rester sur les bras quand on a terminé de monter un meuble ikea. Pour désigner cette situation gênante, Freud utilise le concept de résidu, qu’on retrouvera sous sa plume chaque fois qu’un saut dans la théorie est devenu nécessaire. D’un côté, nous avons une somme considérable d’observations rassemblée au cours de la pratique analytique (qui manque au simple lecteur que nous sommes) et de l’autre un cadre théorique censé expliquer pourquoi cela se passe ainsi et pas autrement. Un remaniement devient nécessaire quand la théorie, qui, au départ, paraissait apte à rendre compte de tout, laisse en plan un quelque chose qui est bien là mais qui ne peut pas être pris en charge par l’explication. C’est la preuve que le modèle théorique ne convient plus et doit être remanié en profondeur. Dans le cas qui nous occupe ici, on dira que le principe de plaisir n’est pas disqualifié du fait de la compulsion de répétition, mais qu’il perd son statut de principe le plus fondamental : il y a encore quelque chose derrière, à quoi le principe de plaisir lui-même est soumis. La question est de savoir quoi.
Pour autant, cet au-delà du principe de plaisir n’est pas le contraire du principe de plaisir. A ce propos, un petit clin d’oeil à Nietzsche ne sera pas inutile pour lever une ambiguïté que contribue peut-être à entretenir l’intitulé même du texte. Ne nous laissons pas piéger par les connotations du mot « plaisir ». Les lecteurs attentifs auront probablement noté la ressemblance de ce titre avec le fameux « Au-delà du Bien et du mal ». Je ne pense pas qu’elle soit fortuite. Or nous avons déjà pu constater qu’au-delà du bien et du mal nous ne sommes pas mis dans la situation de choisir le mal contre le bien, mais bien à nous libérer de tout jugement de valeur, ce qui n’est pas sans analogie avec le saut auquel Freud nous invite ici. Les choses seraient peut-être plus claires s’il avait écrit : « Au-delà du principe opposant plaisir et déplaisir » ou « Au-delà du champ où font sens l’opposition entre plaisir et déplaisir, la tension et le relâchement de la tension ». En effet, cet au-delà nous renvoie à une situation où cette opposition n’est plus opérante. Et pour reprendre les termes de la première partie, cela ne « répète » pas pour faire diminuer la tension, pour rétablir un équilibre rompu. Il s’agit simplement d’autre chose. Et même, nous dira Freud au chapitre 3, de quelque chose qui ne contredit pas forcément le principe de plaisir et qui, même, peut être annexé par le moi au bénéfice du principe de plaisir.
En conclusion, pour revenir à la compulsion de répétition, notons qu’elle est toujours présente, mais le plus souvent difficile à mettre en évidence. Les deux exemples choisis par Freud ont le mérite de la faire apparaître d’une manière suffisamment nette pour qu’il nous soit impossible de l’expliquer à partir du principe de plaisir.
La grosse erreur est de se demander ce que cela veut dire, comme si le fait même de la répétition était un message à déchiffrer. Il ne s’agit que d’un mode de fonctionnement propre à la pulsion.