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1. Arrêtons-nous là…
L’histoire de France et l’histoire d’Angleterre.
Une histoire de France tout entière d’affrontements et de querelles, de divisions qui n’en finissent pas, mais aussi une histoire plus humaine. Une histoire d’Angleterre, en revanche, qui semble obéir aux oscillations d’un système fermé sur lui-même, un système autorégulé. Voire !

2. Reste à concevoir…
On ne peut qu’être frappé par la prolifération métaphorique de ce paragraphe. Pour s’en tenir à l’essentiel, voyons ici d’abord sa structure fondamentale, scandée par au delà et en deçà. Au-delà de la vitre, le signifiant et en deçà l’indignation et la querelle. A travers la vitre quelque chose se fraie un passage. Quoi ? Comment ?
Il faut reconnaître que Lacan, en jouant sur les mots, insiste fortement sur ce passage, qui est celui de la signifiance, ce qui laisse entendre que la question est particulièrement délicate.
Je ne peux m’empêcher d’évoquer ici la progression métonymique qui sous-tend cette débauche de métaphore. Train conduit à marchepied et couloir. Couloir à la sinuosité de la lettre S, sinuosité du signifiant lui-même. S majuscule à l’s minuscule du pluriel. A cela s’oppose la résistance de la vitre, résistance surmontée par les canalisation coudées (en S) qui finissent par envoyer l’air chaud de la querelle à l’intérieur du wagon. On ne prendra pas tout cela au pied de la lettre, mais il n’empêche que s’il y a passage, celui-ci n’est pas aisé.

3. Une chose est certaine…
Une phrase qui commence par ces mots vise à mettre en avant une certitude que rien n’ébranlera, même si tout le reste peut être sujet à caution. Cette certitude : rien que l’on puisse qualifier de signification ne franchit la barrière de la vitre. S’il y a signification, elle émerge en deçà, puisqu’au-delà de la vitre, il n’y a que du signifiant, rien que du signifiant, le tout sur fond de réel. Ce qui importe ici, c’est bien cette idée que si le signifiant est substance, ce ne peut être le cas du signifié. On peut toucher, voir, entendre un signifiant, mais le signifié n’a rien d’une chose.
Retenons le mot « accès », qui indique que le jeu du signifiant se fraie un accès dont le résultat est l’indignation et la colère. Notons au passage que l’indignation et la colère ne sont pas les signifiés mais bien le prolongement du processus de signification et que cela n’est pas à imputer aux significations en tant que telles, mais au fait qu’elles sont plurielles, ambiguës, incertaines.
Alors que se passe-t-il effectivement ?
a. L’algorithme n’est qu’une pure fonction du signifiant. Cette proposition est capitale et nous devons bien en saisir la portée. Cela veut dire que dans cet algorithme, la seule variable est le signifiant. Cela pose évidemment la question du signifié ? N’est-il pas une variable lui aussi ?Retenons simplement ceci : tout ce qui se passe, au sens matériel de « se passer », relève du signifiant.
b. La fonction du signifiant ne peut révéler qu’une structure de signifiant à ce transfert.
– Arrêtons-nous un instant à ce mot transfert, dont nous savons qu’il joue un rôle essentiel dans la pratique et la théorie analytique. Il y a donc transfert. Passage de quelque chose du signifiant à … Mais passage de quoi vers quoi ?
On est tenté de dire : passage du sens, qui partirait du signifiant pour atteindre l’interprète. Mais cela contredirait ce que nous avons dit : le sens n’émane pas du signifiant. En fait, c’est un glissement du signifiant vers un autre signifiant, le travail du sens s’opérant dans la différence.
– La fonction du signifiant (donc l’algorithme) ne peut avoir comme résultat qu’un signifiant.

4. Or la structure…
On utilise beaucoup le mot structure et il serait utile, voire carrément nécessaire, de s’interroger sur le sens qu’il a dans le discours lacanien. Je suis loin d’y être parvenu, mais en tout état de cause, je me rends compte que les définitions plus ou moins implicites dont je me contentais jusqu’ici son inadéquates.
La première erreur, me semble-t-il, est de raisonner à propos d’un objet en disant qu’il a une structure. On est plus près du vrai en disant qu’il est une structure ou, mieux encore, que nous allons le considérer en tant qu’il est une structure, c’est-à-dire à partir des relations qui tiennent ses constituants.
La structure du signifiant : ce n’est donc pas quelque chose que le signifiant a, comme nous avons par exemple un bras droit. C’est quelque chose que le signifiant est.
Et voyons comment Lacan opère ici. Il nous dit que la structure du signifiant est d’être articulé. Cette articulation est l’enchaînement de constituants élémentaires en suivant certaines règles. Ce ne sont pas ici des choses qui nous intéressent mais les relation sans lesquelles ces choses ne pourraient en aucun cas être des signifiants.

Alors nous voilà partis sur la notion d’articulation.
En linguistique, la notion d’articulation est fondée sur la notion de choix contraint. Pour faire une phrase, on enchaîne des mots, mais pas n’importe lesquels, pas n’importe comment : c’est la première articulation. Mais la matière même de la phrase est un enchaînement de sons élémentaires qu’on appelle des phonèmes. L’enchaînement des phonèmes suit lui-même des règles : c’est la seconde articulation. La part du locuteur est dans les choix (conscients ou non) qu’il fait. Or, tout choix peut être considéré en suivant soit la ligne de ce qui a été choisi, soit celle de ce qui a été refusé, laissé de côté. Il y a interdépendance entre l’un et l’autre.
Le signifiant est un articulé s’articulant. La notion d’articulation lui est essentielle, cela veut dire qu’avec un signifiant, on doit compter avec l’ensemble du système. Je pense que si l’on veut comprendre, il faut carrément franchir le pas et se dire qu’il n’y a pas de signifiant isolé, que tout élément signifiant porte en lui, comme détermination essentielle, l’ensemble du système.

5. Ceci veut dire que…
Le terme central ici est celui de réduction. Nous partons du signifiant articulé, par exemple une phrase. Nous le réduisons une première fois à être un ensemble de mots choisis de façon non arbitraire et liés ensemble selon les règles de la première articulation. Mais cette même phrase, nous pouvons la réduire à une succession de phonèmes liés eux-mêmes selon les règles de la seconde articulation.
Prenons une phrase enregistrée. On peut la considérer selon la première articulation. Pour cette analyse, il nous faut avoir une connaissance suffisante de la langue du locuteur. On peut la considérer comme un enchaînement de phonèmes éventuellement ponctué de pauses.
On peut toujours réduire les enchaînements selon la première articulation à des enchaînements selon la seconde.
Quel intérêt ?
C’est que lorsque nous abordons un signifiant énigmatique, c’est à partir de ce qu’il a le plus élémentaire. On entend un séquence de sons, on découvre un ensemble de signes graphiques. Pour qu’on puisse parler de signification, il faut faire à l’envers la séquence des réductions.

6. Ces éléments…
La manière dont les phonèmes se combinent entre eux ne se définit pas au niveau de la phonétique elle-même. La phonétique est l’étude des sons et non pas celle de la formation des mots à partir des sons.
Un phonème est déterminé par sa différence avec les autres phonèmes, on peut donc parler de système phonétique. C’est par là que les éléments de première articulation, les mots, peuvent être formés. Mais si l’on s’en tient là, on passe complètement à côté de toute interprétation du signifiant, le signifié reste hors de portée.
Mais qu’en est-il de l’écriture ? Si nous faisons de l’écrit un dérivé de la parole, on pourrait être tenté de parler de troisième articulation. Le débat n’est pas clos sur ce point, mais c’est l’affaire des linguistes. Ici, c’est de l’inconscient freudien qu’il s’agit, inconscient qui n’est pas simplement du langage dans la langue commune, mais quelque chose qui a la structure d’un langage. La langue qui s’y exprime est celle de l’Autre scène. A ce stade elle nous est inconnue.

7. Avec la seconde…
Ce paragraphe amène une remarque extrêmement importante. Le comportement du signifiant répond aux lois d’un ordre fermé. Cette remarque est essentielle pour la question du signifié. En effet, toute combinaison de signifiants est un signifiant, si bien que quoi qu’on fasse, on ne sort pas du système. Il n’est donc pas question d’imaginer qu’une composition de signifiants puisse aboutir à quelque chose qu’on appellerait signifié.
La notion de substrat topologique.
Je le traduis par : une formalisation sous-jacente, non directement perceptible mais déductible la chaîne signifiante telle qu’elle nous apparaît, formalisation en terme de relations entre les éléments, exprimées dans des termes spatiaux.

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1. Telles sont …
Conditions de structure à comprendre comme conditions d’articulation.
Ces conditions sont réparties en deux ordres :
a) un ordre grammatical qui détermine la constitution de l’énoncé complet. On y retrouve la première articulation des linguistes.
b) un ordre lexical englobement des constituants du signifiant jusqu’à la locution verbale, c’est-à-dire jusqu’au mot (c’est du moins ainsi que je comprends « locution verbale »). C’est la seconde articulation.

2. Il est aisé…
Il faut d’abord expliquer les notions de taxièmes et de sémantèmes. Un sémantème est, du point de vue de la signifiance ce qui constitue la matière d’une unité de sens isolée, telle qu’un mot. En gros, ce qui permet de dire qu’on a affaire à tel mot et non à tel autre. Le contexte de référence est l’ensemble des mots de la langue. Un taxème (le terme de taxième est introuvable dans les ouvrages que j’ai pu consulter) est une marque grammaticale qui signale l’intégration d’un mot dans un énoncé. Le contexte de référence est l’ensemble des énoncés possibles.
Ce sont donc les composants du signifiant et cela nous montre que toutes ces opérations ne nous font jamais sortir du cadre du signifiant.

3. Mais ce n’est pas …
Fin des variations sur la structure à deux niveaux du signifiant proprement dit : niveau lexical et niveau grammatical, première et seconde articulation. Une fois épuisée la combinatoire, qu’en est-il du signifié ?
N’oublions pas le coeur de notre propos : qu’est-ce au juste que le signifié ? et comment signifiant et signifié sont-il liés en dépit de la barrière qui les sépare ?
Et rappelons-nous qu’une barrière peut être une séparation partageant en deux un même espace ou la séparation entre deux espaces de nature différente.
Nous pouvons envisager deux cas de figure :
S est séparé de s dans le même ordre, en l’occurrence le réel. Dans ce cas, nous avons l’entité S d’un côté et l’entité s de l’autre. Mais on peut dire que s appartient à un ordre différent de S, ce qui n’exclut pas, si S appartient au réel que ce ne soit pas le cas de s.
Piste : s pourrait être le travail qui s’opère dans la transition d’un signifiant S à un signifiant S’. Cela voudrait dire que dans un sens nous ne quittons pas le réel puisque la transition s’y déroule entièrement, mais que pour considérer s il faut en sortir, se situer dans un autre ordre. Mais n’allons pas trop vite en besogne.

4. Car le signifiant …
Nous parlons ici de quelque chose qui est de la nature du signifiant. Ce n’est pas quelque chose qu’il aurait en plus.
D’abord, ne posons pas le signifiant comme quelque chose qui serait toujours entier et achevé, comme l’est un texte. Tout signifiant comporte une dimension temporelle. Il faut du temps pour prononcer une phrase ; il faut du temps pour lire cette phrase quand elle est écrite. Bref, le signifiant ne nous est jamais donné achevé, complet, cristallisé, à l’insant t.
– Il anticipe sur le sens. Non qu’il suffise de prononcer le premier mot d’une phrase pour que celle-ci nous soit donnée. Ce que Lacan veut dire ici, c’est que le premier mot met en branle un processus d’interprétation qui va donner lieu à la constitution d’un éventail de significations possibles, lequel se refermera progressivement au fur et à mesure que l’énoncé progressera.
– Il déploie au-devant de lui sa dimension (sa = du signifiant ou du sens) Je pense qu’il s’agit du sens. Et alors on peut dire que le sens se trouve dans le possible de sa continuation.
– La phrase interrompue. Elle fait sens tout de même, dans la mesure où elle appelle toutes sortes de continuations.
Un sens qui se suffit à se faire attendre. Même suspendu et donc inconnu, le sens est là : il insiste, nous dit Lacan.

5. Mais le phénomène …
Un seul mot, comme mais, suspend le mouvement et oblige au virage d’un changement du sens.

6. D’où l’on peut dire que …
C’est dans la chaîne du signifiant et non pas ailleurs que le sens insiste. Ici, on traduit bien instance par insistance. Je pense qu’il y a là quelque chose de tout à fait fondamental. Le signifiant, il n’est que du réel qui se déroule. Mais il est le support d’une insistance, que je pourrais appeler une intention ou un désir. La partie encore manquante de l’énoncé crée un vide où le sens est aspiré, sens qui n’est rien d’autre que l’achèvement de la phrase.

7. La notion d’un glissement …
Si l’on a suivi ce que nous venons de dire, qu’est-ce qui glisse ainsi sous le signifiant ? Ce n’est rien d’autre que les virtualités de ce même signifiant. La dynamique de production ou de réception du signifiant est à l’origine d’une nouvelle ligne signifiante qui vient se glisser sous la première et qui vise aussi bien à anticiper sur son achèvement ou à l’enrichir de développement signifiants nouveaux.
Le schéma que propose Saussure ne convient pas à Lacan.
Saussure fait référence au récit biblique de la création et à la distinction entre les eaux supérieures et les eaux inférieures. Jusqu’ici, tout va bien. Pour filer la métaphore, on remarquera qu’il s’agit bien de la même substance en haut et en bas : de l’eau. Le problème surgit au moment où est décrite la relation entre les deux : les traits de pluie. Ce schéma suggère une correspondance point à point ou segment par segment. Or, ce n’est pas ce qui se produit.

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1. Toute l’expérience va là-contre…
Ce qui est ici rejeté, c’est la manière dont est figurée la liaison entre les deux flux. Ce que ne dit pas le schéma saussurien c’est d’abord la dominance de la lettre et ensuite le fait que ce qui s’opère est une transformation du sujet. Un peu comme une petite cause qui produirait de grands effets. L’effet de la lettre est donc un remaniement (parfois en profondeur) du sujet.
a. Le sujet peut être dramatiquement transformé dans le cours d’un dialogue. Il faut prendre cette formulation à la lettre : il était tel avant et il est devenu un autre, sous l’effet de la parole.
b. Dans cette transformation, ce qui domine, c’est la lettre.
c. Les points de capiton ne sont donc pas simplement des points de correspondance, ce sont des accès à la structure même du sujet.
Note 11
Cette note renvoie à un exemple développé dans tous ses détails dans le séminaire : la première scène d’Athalie de Racine.

2. Mais la linéarité …
La linéarité est ici posée. Elle est évidente dans le fait que tout énoncé est une sucession ordonnée de phonèmes, toute phrase une succession ordonnée de mots. Nous avons déjà noté que pour Lacan, le sens venait par anticipation. Je dirais que l’idée qui s’en dégage est moins celle d’une progression linéaire et régulière qu’une avancée saccadée, par à-coups.
Ce qui gêne Lacan dans la conception de Saussure, c’est une linéarité qui s’identifierait à la ligne du temps dans un graphique, alors qu’il faudrait parler plutôt de temporalité, voire de rythme, une temporalité irrégulière, temporalité constituant d’ailleurs elle-même un facteur signifiant.
Ce que la linéarité saussurienne occulte également, c’est le caractère polyphonique du discours. Une même succession signifiante peut s’entendre de diverses manières.

3. Mais il suffit d’écouter …
Or tout ne se déroule pas simplement dans l’unique dimension de l’axe du discours. Il y a polyphonie en ce sens que la ligne du discours induit d’autres lignes de discours pas forcément parallèles (dans une partitions, les portées sont parallèles, mais les lignes mélodiques ne le sont pas). On observe également des harmoniques, des effets d’écho, etc.
Pensons à ce qui se passe dans l’interprétation des rêves. Nous avons un récit de rêve qui se révèle au premier abord rebelle à toute forme de sens. L’interprétation casse la linéarité du récit et, à partir de chaque élément, trace une, voire plusieurs lignes d’associations.
Note 12
L’étude sur les anagrammes nous montre un Saussure apparemment à l’opposé de l’auteur du Cours de linguistique générale. Il s’agit de déceler dans le discours la présence d’autres discours, présence récursive, insistante, vertigineuse même.

4. Nulle chaîne signifiante …
La chaîne signifiante, toutes les chaînes signifiantes soutiennent ou portent tout ce qui s’articule de contextes attestés.
Si nous n’étions pas en train de parler de la linguistique saussurienne, nous pourrions dire que c’est là exactement le paradigme de l’analyse. La chaîne signifiante porte dans son mouvement la relation à un nombre indéfini (et probablement inépuisable) de contextes, lesquels, nous le verrons, ne sont que d’autres chaînes signifiantes. C’est en fonction de cela et en suivant ces relations au contexte que procède l’analyse freudienne des rêves.

5. C’est ainsi que pour reprendre …
Et c’est ici précisément que Lacan va nous livrer la clé du passage au signifié, c’est-à-dire du franchissement de la barre de l’algorithme saussurien. La signifiance est l’impact que la lettre du signifiant peut avoir sur le système signifiant du sujet, impact pouvant aboutir à une complète restructuration.

6. Car décomposé dans le double spectre …
Nous allons voir, à partir de l’exemple du mot « arbre », une description de ce passage.
Le mot « arbre » appelle d’autres mots désignant des espèces d’arbres (quand je dis « arbre », je pense platane, chêne ou sapin). Ces autres mots sont ici explicitement désignés comme des significations du premier. Il évoque également des éléments de contexte qui n’ont plus rien de botanique comme la croix du Christ ou le schéma logique d’un arbre de classement, et ainsi à l’infini.
On reconnnaît ici, à partir du signifiant « arbre » l’ouverture d’un champ associatif qui est celui-là même où se déploie l’analyse du rêve dans la Traumdeutung.
Une formule nous retiendra encore dans ce paragraphe : « cette lente mutation de l’être dans l’Hen Panta du langage ». Sont opposés ici l’être et le langage. Un être capable de mutations ; non pas d’évolution ou de métamorphose, mais de mutations. Comme si, à partir d’un mot-clé, on faisait surgir dans toute leur discontinuité, une série de clichés censés l’illustrer. Mutations de l’être non pas dans le réel mais dans un espace clos sur lui-même qui rassemble tout ce qui peut se dire : le langage.
Et non seulement défile à partir du mot une série de mots développant indéfiniment l’impulsion du terme originel, mais aussi ceux qui s’en distinguent si radicalement que cette différence même les lie au terme premier : une herbe pour un arbre, le mal pour le bien, etc.

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1. Car cette strophe moderne …
Prenons à la lettre cette notion de parallélisme du signifiant, caractéristique de la poésie archaïque. Un signifiant signifie dans l’évocation d’autres signifiants, évocation qu’il provoque en quelque sorte du simple fait qu’il est un signifiant.
Ainsi pouvons-nous affirmer que la « signifiance » n’est pas une mise en relation du mot avec le réel, du discours avec le monde, mais un processus de renvoi de signifiant à signifiant, interne au système symbolique.

2. Comme il se voit …
On puise dans le réel : un arbre, puis une herbe. Deux végétaux, l’un immense et solide, l’autre menu et fragile. Leur simple juxtaposition fait naître le contraste. Le contraste, nouvelle entité, en quelque sorte, surgit de cette simple disposition. C’est que la chose n’est plus là en tant que chose, mais en tant que signifiant. Par constraste avec l’herbe l’arbre devient signifiant de la puissance ; par contraste avec l’arbre, l’herbe devient signifiant de la fragilité. Les choses deviennent les signes de la contradiction qui les distingue.

3. Mais tout ce signifiant …
Ne prenons pas trop vite notre journée, même si l’acquis précédent fut décisif, car aussitôt on enchaîne sur un autre élément plus décisif encore.
Cette activation du système signifiant qui fait qu’un signifiant donné puisse en évoquer mille autres, elle n’a pas lieu dans le discours ou dans le texte, mais bien dans le sujet qui interprète le signifiant.
Ainsi donc, c’est en pénétrant dans le sujet qui l’interprète que le signifiant passe à l’étage du signifié. Il n’y a de signifiance possible que pour et par un sujet. Le point où cela se passe doit être la place du sujet. Non que le sujet soit bien qualifié pour occuper cette place, mais parce que cette place définit le sujet. C’est par là et par là seulement que le sujet freudien est sujet. Mais qu’y a-t-il « dans » le sujet sinon son signifiant propre ? Si bien que nous comprenons que le signifié n’est que dans le frottement et le dérangement qu’un signifiant impose à l’autre.

4. Car ce qui importe …
Je propose de lire « sache » au lieu de « cache ».
En passant dans le sujet, le signifiant passe donc à l’étage du signifié. La subjectivation du signifiant, que j’envisage comme une sorte d’assimilation, nous fait passer du côté du signifié. Le signifié est l’effet que produit le signifiant dans l’univers psychique du sujet.
L’effet du signifiant ne dépend pas du savoir qu’en a le sujet. C’est parce qu’il est signifiant et qu’il survient dans telle conjoncture, dans tel contexte subjectif, que le signifiant opère.
Tout cela pour nous faire comprendre que le signifiant n’opère pas par son contenu.

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1. Ce que cette structure …
S’il y a chaîne, alors il y a structure. Essayons de bien comprendre cela. Je parle. Cela veut dire que je construis une chaîne signifiante. La vision naïve que je puis avoir du processus me porte à dire que je construis ma chaîne signifiante pour qu’elle tombe juste, pour qu’elle soit comprise par ceux à qui je la destine exactement comme je la construis. Conception naïve, disons-nous, parce que la signifiance de la chaîne signifiante que j’élabore n’est pas sous mon contrôle. On ne sait pas du tout ce que va produire le mélange que je concocte. Il y a ce que je veux signifier, il y a ce que dit la chaîne, et cela ne correspond pas. Ce que j’ai en commun avec les autres, c’est la langue, uniquement la langue. Et la langue n’est pas cet instrument docile à l’aide duquel je puis transmettre ma pensée de manière parfaite. Je sais peu ce que je pense et ce que je dis quand j’exprime ma pensée, je ne puis savoir comment cela sera compris.
Si je comprends cela uniquement comme la capacité de dire le faux tout en pensant le vrai, je suis à côté de la plaque, parce cela voudrait dire que je persiste à considérer la langue comme un instrument que je puis contrôler à ma guise.
Soulignons par ailleurs que dans l’expression « m’en servir pour signifier tout autre chose que ce qu’elle dit », le « je » se sert de la langue, mais c’est la langue qui dit ; le « elle » du dire n’est pas le « je » de l’agent qui se sert de la langue. Et que faire de l’infinitif « signifier » ? Est-ce que le « je » se sert de la langue dans le but de signifier (J’achète un billet de loterie pour gagner le gros lot.) ? Est-ce que ce signifier est ce qui se produit du fait de la langue, hors du contrôle du sujet (J’achète un billet de loterie pour finalement ne rien obtenir.) ? La phrase ne permet pas de trancher. Mais en tout état de cause, nous nous trouvons avec un je, agent du discours, un elle qui dit, et un « signifier » qui flotte entre les deux. On pourrait aller jusqu’à dire : Je me sers de la langue, l’Autre accomplit le processus de signifiance, la langue dit (à sa manière, indépendamment du je et de l’Autre).
Tout tient dans la manière de comprendre le verbe « signifier ». Se servir de la langue, ce n’est pas du tout la même chose que signifier. Moi, je me sers de la langue, mais ce que je dis signifie par l’entrée de ma parole dans l’Autre. La signifiance n’est pas incluse dans l’émission du discours. Il en résulte que quand je dis, je ne maîtrise pas la manière dont je serai compris. Il se peut que le signifié de ma parole n’ait pas grand-chose à voir avec ce que je croyais vouloir dire.

– La recherche du vrai.
Encore un passage difficile.
a) je me sers de la langue, il y a signifiance, la langue dit.
b) Si je mens, le je est bien situé par rapport à la recherche du vrai. Il sait le vrai mais il déguise sa pensée.
c) Mais si simplement je dis, et supposons que c’est avec le souci de ne pas mentir, je me situe quelque part dans le flux d’un signifiant qui, pour l’essentiel m’échappe.

2. Il me suffit en effet …
L’idée d’ensemble est qu’il n’y a pas de communication au sens où on l’entend ordinairement : il y aurait une pensée P que je transmettrait telle quelle à un destinataire sous la forme d’un discours D parfaitement adéquat.
Dès le moment où j’enchaîne mes signifiants, où je structure ma chaîne signifiante, elle m’échappe. Pour dire les choses simplement, si claire que soit mon intention, je ne sais pas ce qu’effectivement je dis, et cela tout simplement parce qu’il n’y a pas de dit effectif, mais uniquement un dit potentiel, un dit qui n’épuisera jamais tout ce qu’il pourrait dire.
Et c’est là que X peut venir se greffer sur le discours pour faire entendre ce que « je » ne pensais pas dire. Et quel est ce X ? Un sujet ? Un simple effet du discours ? Quand l’analyste interprète un rêve, essaie-t-il d’entrer en communication avec un inconnu qui serait le véritable sujet du rêve ou révèle-t-il ce que le discours lui-même exprime indépendamment de tout sujet ? Soyons bien attentifs à cette dernière possibilité, car dans ce cas, c’est au rêveur lui-même que son propre discours est rendu. C’est ainsi que je comprends le « wo Es war, soll Ich werden » de Freud. Il n’y a personne d’autre dans l’affaire.
Je veux faire passer un signifiant donné, mais de telle manière qu’il puisse franchir la barrière de la censure. On peut l’insérer dans un énoncé d’apparence innocent de manière que les censeurs n’y voient que du feu alors que mon message sera clair aux yeux de ceux à qui il s’adresse. Tout le développement qui suit doit être compris sous cet angle-là.

3. La fonction proprement signifiante …
Nous sommes dans le langage et une fonction signifiante s’y dépeint. C’est évidemment ce point-là qui compte. Le langage est un milieu, un espace, un champ, dans quoi se dépeint une fonction signifiante. Peu importe si le langage est le produit de cette fonction signifiante, ou pas. Nous prenons les choses comme elles nous sont données : un milieu, une fonction. Et c’est évidemment la fonction qui nous intéresse. Ne la cherchons pas trop loin, elle se trouve dans nos manuels scolaires.

4. C’est parmi les figures de style …
La métonymie. Le lien entre la métonymie et l’ambivalence du discours, son équivoque, sa capacité de déjouer la censure est ici essentiel. La métonymie est ce qui nous permet d’articuler les maillons de la chaîne signifiante. La métonymie nous dit de quel côté tourner sur le chemin du discours, sauf qu’elle ne se laisse pas – dans cette métaphore – représenter par un virage à gauche ou à droite, mais par un carrefour. Or un carrefour offre toujours plusieurs possibilités. Je pose mon carrefour pour dire d’aller à gauche, par exemple, mais pourquoi celui que j’essaie de guider n’irait-il pas à droite ?

5. Dont nous retiendrons seulement l’exemple …
L’analyse des exemples est toujours féconde, dans la mesure où la considération de l’exemple nous permet souvent de parfaire, voire de corriger les premiers réglages de notre compréhension du discours lacanien.
L’exemple canonique de la métonymie selon Lacan est donc, tiré du Cid de Corneille, « trente voiles », pour trente navires.
Premier constat, nous avons ici, comme pour la métaphore, un mot pour un autre, puisqu’il eût été plus direct de dire « trente vaisseaux ». Encore que l’expression « trente voiles » en dise plus que simplement « trente vaisseaux ». Ce sont bien trente vaisseaux, mais encore à une certaine distance, puisque seules leurs voiles se détachent sur l’horizon. On peut donc dire que l’expression choisie correpond plus exactement à l’expérience de l’observateur. Mais parler de voiles oblige l’auditeur à faire une petite déduction : nous avions affaire à trente vaisseaux ennemis sur le point d’attaquer.
C’est donc le mot « bateau » qui se cache dans cet exemple.
Mais pourquoi se dédouble-t-il ? Je ne serai pas catégorique, mais l’allusion au ressassement (l’exemple choisi est largement connu de tous) nous amène à penser que l’exemple lui-même est « bateau ». Et comme Lacan est en verve, il récidive avec le verbe « voiler ».
Cet exemple a été ressassé, au point, peut-être, qu’on ne puisse plus y voir de quoi il s’agit.
– Le mot « bateau » se cache dans l’expression. C’est lui qu’il faut y voir, même s’il n’y apparaît pas du tout. On est captivé par les voiles au point que les bateaux pourraient passer inaperçus.
– Mais où se situe le malentendu ? Il faut le voir dans le fait que l’exemple a été tellement ressassé que le mot voile a fini par signifier lui-même « bateau ». L’allusion est devenue si transparente que son mécanisme nous échappe.
Alors revenons à notre affaire : Pourquoi trente voiles pour trente vaisseaux ?

6. La partie prise pour le tout …
Facinés par le mécanisme, nous disons que c’est la partie prise pour le tout. D’accord, mais alors cela voudrait dire que nous nous situons dans le réel et dans ce cas, il faut prendre les mots au sérieux. Il faudrait supposer qu’un bateau n’a qu’une voile. Si c’est vrai de certains bateaux, ce ne peut être le cas dans la situation évoquée ici.

7. A quoi se voit que …
Si nous examinons les choses du point de vue du langage, nous constatons que nous avons affaire ici à une connexion. La métonymie est donc une connexion. Le mot « navire » est connecté au mot « voile » sous les aspects d’un mot à mot. En d’autres termes, un mot en appelle un autre.

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Note 13
Cette note fort longue semble à première vue une énigme. On peut. à la considérer attentivement constater d’abord que Lacan s’y acquitte de la dette qu’il a contractée auprès de Jakobson. Avec Saussure, c’est le linguiste qui a le plus aidé le psychanalyste à comprendre sa propre pratique. Mais il y règle ses comptes avec un auteur qu’il ne nomme pas et qui n’a pas eu à son égard la même délicatesse.

1. Nous en désignerons …
On conclut ici sur la métonymie en rappelant que le champ du signifiant présente deux versants et que la métonymie n’est que le premier des deux, l’autre étant la métaphore.

2. Disons l’autre.
Comme pour la métonymie nous allons travailler sur un exemple et comme pour la métonymie toujours, nous allons chercher cet exemple au plus près, dans le domaine le plus traditionnel, le plus scolaire. Lacan se met ainsi à l’abri de tout soupçon d’avoir choisi ses exemples à sa convenance. En d’autres termes, il appelle métonymie et métaphore ce que la tradition rhétorique désigne ainsi.

3. Disons que la poésie moderne …
L’évolution de la poésie modifie notre perspective et nous permet aujourd’hui, plus facilement qu’autrefois, de comprendre ce que nous voulons dire ici. Mais il s’agit bien d’une position extrême, caricaturale.
Toute conjonction de deux signifiants produirait une métaphore. Cette proposition radicale présente l’avantage d’insister sur le procédé et non sur l’intention.
Remarquons que pour la métonymie nous avions la notion de connexion : un mot en appelle un autre. Pour la métaphore, nous avons celle de conjonction, ce qui est tout à fait différent. Deux éléments connexes sont en quelque sortes faits pour s’adapter l’un à l’autre, tandis que la conjonction oblige à inventer un passage entre deux éléments qui justement ne sont pas « faits » pour aller ensemble.
Cet effort d’invention que constitue l’acte métaphorique est très exactement l’ouverture où se crée le signifié. C’est pourquoi Lacan conclut en parlant de création métaphorique.

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1. Certes cette position …
Il faut que l’écriture soit automatique pour que des signifiants imprévus se trouvent mis en présence. Dans ce cas, d’une manière tout à fait indépendante de toute volonté, le langage, pulvérisé, reformerait à partir de ses fragments accolés au hasard mille et mille oeuvres nouvelles. L’ordinateur ferait un parfait poète et c’est peut-être ce constat qui marque la limite de l’écriture automatique.
A cela près que l’écriture automatique n’est pas si automatique que cela.
Mais, nous dit Lacan, la doctrine en était fausse. Et il est vrai que si nous nous en tenions à elle pour expliquer la signifiance, nous nous trouverions vite dans l’impasse.

2. L’étincelle créatrice …
Alors que se passe-t-il vraiment dans la métaphore ? Ce n’est pas la mise en présence de deux signifiants qui compte ici, même si l’on peut effectivement dire de toute métaphore qu’elle met en présence deux signifiants. Il faut que l’un des deux en fasse plus que l’autre. Il faut qu’au premier qui était là, le second vienne se substituer. Au terme de conjonction utilisé précédemment, nous préférerons celui de substitution. Ce remplacement du signifiant donné par un autre qui vient prendre sa place, c’est tout le mouvement de la métaphore. La métaphore n’est pas dans la conjonction fortuite de deux signifiants, mais dans un travail de substitution d’un signifiant à un autre, qui ne peut être simplement l’action du hasard. Reste à expliquer ce que peut vouloir dire « prendre sa place ». Ce n’est pas le signifiant qui est visé dans cette substitution mais bien la place qu’il occupe, place déterminée par la constitution métonymique de la chaîne. Il ne s’agit pas de remplacer un signifiant isolé par un autre signifiant isolé, mais bien de retravailler la chaîne signifiante tout entière, affectée dans tous ses éléments par la substitution accomplie.
Une chaîne signfiante, c’est, sous un certain angle un enchaînement de signifiants ; mais sous un autre angle une articulation de places.
Mais Lacan nous en dit encore plus. Le signifiant qui se substitue à un autre ne l’efface pas pour autant. Le premier avait sa place dans la chaîne, non pas seulement du point de vue grammatical mais du point de vue des relations métonymiques qu’il entretenait avec l’ensemble de la chaîne.
On comprendra mieux à l’aide de l’exemple que Lacan nous fournit. « Sa gerbe n’était pas avare ni haineuse ». La gerbe vient à la place de Booz. Elle ne le remplace pas comme si à la place de Booz on avait mis Ernest, Bertrand ou mon voisin. Booz reste là, sauf qu’il a pris l’apparence et les caractéristiques d’une gerbe. Tout cela sera expliqué dans les paragraphes suivants.

3. Un mot pour un autre …
Il faut prendre le temps de méditer les formules les plus innocentes. Ici, « pour » en dit plus que le simple « à la place ». On peut aller jusqu’à dire que la substition se fait pour (en faveur de) le mot que l’on remplace. Il y a bien substitution, mais la mémoire du premier mot demeure dans l’énoncé. Par mémoire, j’entends tous les liens que ce mot avait forgés avec les mots environnants, tout l’enracinement métonymique de ce mot. Le mot évacué, absent est donc toujours là par l’empreinte qu’il a laissée. Mais le mot nouveau oblige à tout revoir sous un nouveau jour.

4. Dans le vers de Hugo …
On voit bien que ce n’est pas la gerbe qui est « ni avare ni haineuse ». Ce sont bien les qualités de Booz qui sont rapportées là. Que Booz soit ici remplacé par une gerbe ne veut pas dire que la gerbe reprenne automatiquement tous ses attributs, bref que Booz soit devenu purement et simplement une gerbe.

5. Si sa gerbe renvoie à Booz …
Comment ce renvoi s’effectue-t-il ?
Il y a bel et bien rupture, abrupt raccourci, cassure dans l’enchaînement métonymique. Ça se poursuit, mais à un autre niveau.
– La gerbe renvoie à Booz.
– Mais ce renvoi s’effectue de manière particulièrement radicale, par l’expulsion du nom de Booz de la chaîne signifiante. A vrai dire, Booz n’y avait jamais été présent de fait.
L’absence d’avarice et de haine ne convient qu’à une personne. La gerbe est donc ici dans la position d’une personne. Booz est représenté dans la phrase par quelque chose qui lui appartient, mais qu’il vient de partager, laissant Ruth prendre sa part de la récolte. Mais une autre idée se profile. La récolte présente est promesse de la récolte future. La gerbe est ce qui a surgi du sol, puissance de vie et garantie de continuation. Une symbolique se met en place qui indique que la générosité de Booz aura des suites dans une postérité prodigieuse.
Il y avait Booz le généreux, mais la métaphore lui confère un destin : ce qui se passe ici a un sens.

6. Mais une fois que sa gerbe …
Il y a quelque chose d’irréversible dans le processus de signifiance.
La personne de Booz est littéralement réduite à rien si l’on considère le sens de ce qui s’est ici produit, sens que livre la métaphore.
C’était de Booz que l’on parlait, le propriétaire généreux du présent qui laisse glaner la miséreuse. Et voilà que dans un saut instantané, c’est la gerbe qui a pris le relais dans la phrase et se profile la lignée future qui conduira à David puis au Christ. Dès lors, il devient possible de comprendre ce que Booz faisait là, dans cette histoire.

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1. Mais si dans cette profusion …
Disparition, retour dans un surgissement.
C’est bien le mouvement de la signifiance exprimé de manière dramatique.
Il y a beaucoup de termes dans ce paragraphe qui évoquent des mouvements subits et puissants. Je crois qu’il ne faut pas en négliger la portée. Dans le processus de signifiance, quelque chose disparaît, à quoi se substitue autre chose de plus fort. Booz a été effacé, relégué certes, mais dans la gerbe qui le représente, c’est bien lui qui resurgit en tant que père originel d’une lignée prestigieuse. Booz nié en tant que vieillard revient en force en tant que futur père, fondateur d’une lignée capitale.

2. C’est donc entre le signifiant …
Lacan résume ici le processus de signifiance en ses trois temps : a) position d’un signifiant; b) substitution à ce signifiant d’un autre signifiant qui l’abolit ; c) surgissement du signifié.
La formulation nouvelle abolit donc la formulation première, tout en en conservant l’essentiel, mais sous une forme magnifiée qui en exprime les virtualités. La signifiance n’est pas simplement explication, reproduction du même sous une forme différente mais accomplissement des virtualités du signfiant, progression.

3. La métaphore moderne …
La métaphore est recréation, création du même à nouveau, mais sous une forme radicalement autre. Il faut bien saisir cette dynamique de la signifiance qui en font autre chose que l’aboutissement d’une analyse. Dans la signifiance, il y a bel et bien annulation, substitution et enrichissement du signifiant, recréation dans une nouvelle dimension.

4. On voit que la métaphore …
Le sens se produit dans le non-sens. Cette proposition apparemment triviale s’éclaire si nous reconnaissons qu’elle ne parle pas d’une reconnaissance du sens, mais bien, comme toute la logique de ce que nous avons dit jusqu’ici nous y porte, de sa création. On retrouve la formule freudienne transposée : Là où était le non-sens survient le sens.
La métaphore se trouve en ce point précis où cela se passe. C’est donc dans la métaphore que se crée le sens.
Retenons l’idée d’un point de passage.
Mais qu’en est-il du mot d’esprit ? Il aurait lieu en ce même point de passage, mais à condition de le franchir à rebours, ce qui veut dire : du sens au non-sens. En gros, nous partons du sens reçu, établi, de ce qui ne suscite aucune interrogation pour atteindre le non-sens. Le mot d’esprit serait une forme d’autodestruction du sens.
Mais on peut se demander si ce n’est pas plutôt la production d’un sens imprévu ?
Dans le mot d’esprit, il y a dérision du signifiant. C’est donc bien du signifiant que l’on se moque, on y crayonne des moustache, on le tourne à l’envers… On fait exploser son sens. On le renvoie dans les cordes du non-sens. Et l’exercice n’a rien d’anodin, puisque c’est de la destinée de l’homme qui est en jeu dans ce processus.

5. Mais pour y revenir ici …
Retour à la métonymie. Elle n’est pas seulement le processus de construction de la chaîne signifiante, elle est – sachant ce qu’il en est de la métaphore – le moyen de dire sans dire. C’est ainsi que fonctionne l’allusion qui fait mouche alors que l’intéressé dont on se moque n’y voit goutte. Les ressources de la métonymie sont là pour dire le vrai en dépit de la censure. Ce paragraphe n’avait d’autre fonction que d’introduire dans le débat ce terme de censure, central dans le développement qui va suivre, consacré à l’inconscient freudien.
6. On lira avec profit le livre de Léo Strauss …
Léo Strauss (La persécution et l’art d’écrire, Paris, Presses-Pocket, 1989.) nous invite à relire les grandes oeuvres de la littérature et surtout de la philosophie compte tenu que dans presque tous les cas la vérité devait trouver son chemin dans un monde qui n’en voulait pas. Avant de prendre au premier degré ce qui est écrit, il convient de savoir de qui l’auteur devait détourner l’attention, contre quels préjugés il devait se prémunir.
Lacan insiste sur ce point, puisqu’il évoque carrément une conaturalité, quelque chose qui fait que l’écriture est vouée à déjouer la censure. Il ne faut pas se méprendre sur la portée du terme de conaturalité. Il signifie seulement que l’équivoque n’est pas une dérive possible de l’écriture, mais bien que par nature l’écriture et l’usage du langage sont toujours et nécessairement équivoques.
Il y a quelque chose, nous dit Lacan, qui impose sa forme. C’est bien là cette insistance dont nous parlons depuis le début. Mais à quoi reconnaît-on cette insistance ? – A l’effet de la vérité sur le désir.
Depuis l’irruption de Trump dans notre histoire commune, nous nous interrogeons fortement sur les effets désastreux du désir sur la vérité. Lacan nous invite ici à considérer l’inverse de cette influence. La vérité, valeur que seul le langage produit, pèse de tout son poids sur le cours du désir.

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1. Mais ne sentons-nous pas …
Tout le sens de la démarche de Lacan dans cet article est donné ici : il s’agissait de montrer que pour atteindre la vérité freudienne, ce chemin de la lettre, qui est l’objet du présent texte, est non seulement possible, mais qu’il nous mène tout droit au coeur de notre affaire. C’est en le suivant que nous pourrons effectivement atteindre cette vérité. Nous brûlons, comme on dit quand on s’approche en tâtonnant d’un trésor caché.

2. Certes la lettre tue, dit-on …
A la lettre, on oppose l’esprit, et l’on connaît l’aphorisme évangélique. Or si l’on assimile à la lettre le signifiant et à l’esprit le signifié, on en arrive à un constat, qui est exactement celui de Freud. L’algorithme lacano-saussurien (chemin de la lettre), définit clairement le rôle dominant du signifiant dans la production du signifiant. La découverte freudienne montre tout aussi clairement qu’une vérité s’impose au sujet indépendamment des prétentions de sa conscience.

3. Cette révélation, c’est à Freud …
Ce qui nous conduit à l’inconscient freudien.