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1. Reste que…
Après avoir établi que le signifiant n’est pas une émanation du signifié, il reste à expliquer de quelle nature est la relation qui, de toute évidence, unit signifiant et signifié. En effet, l’algorithme lacano-saussurien montre seulement qu’ils sont séparés. Mais alors comment expliquer la relations qu’ils entretiennent, et plus encore que le signifié soit sous la dépendance du signifiant ?

2. Pour saisir sa fonction …
Notre point de départ sera une conception fautive. Il peut être pertinent de poser le faux, qui n’est pas arbitraire puisqu’il constitue en gros la position spontanée de tout le monde, pour mieux déterminer le vrai, par constraste en quelque sorte. Cette conception erronée est celle qu’on retrouve le plus couramment dans les ouvrages élémentaires. Au mot est accolé une image censée représenter la chose (à condition que celle-ci soit figurable par un dessin : quels dessins pour « vérité », « solitude » ou même « existence » ?)
Mais en quoi cette conception est-elle erronée ?
Notons d’abord que sa fonction n’est pas d’expliquer ce qu’est un signe linguistique, mais uniquement d’aider à l’apprentissage de certains mots du vocabulaire, en gros les noms des objets de la vie quotidienne. Si, partant de là, on en fait le paradigme du signe, on dérape complètement.
Première erreur : elle laisserait entendre que le signifié n’est que le référent, ce qui suggère une relation directe entre le signfiant et le mode réel. Seconde erreur : elle suggérerait que cette relation se fait terme à terme : UN mot renvoyant à UNE chose.
Lacan va au contraire souligner que le signifié n’est pas le référent et que signifiant et signifié sont des flux entre lesquels se créent des points de contact multiples et en large part imprévisibles. Mais n’anticipons pas…

3. Je lui en substituai…
Le schéma alternatif que Lacan nous propose est apparemment très semblable au premier. Il y a toujours un signifiant en haut et une image en bas.
Mais, à y regarder de plus près, on note qu’au signifiant premier constitué d’un terme unique on a substitué un couple de mots juxataposés : « hommes dames ». Cette addition constitue une entité plus puissante, dans la mesure où l’on y trouve non seulement « homme » et « dame », mais que ces noms, écrits au pluriel et accolés en disent plus que s’ils étaient séparés. L’idée que la représentation canonique du signifiant soit un mot isolé est donc écartée. Plus encore, sous la ligne de séparation, la représentation de deux portes nous renvoie bien à une signification possible, mais on se rend compte aussitôt qu’il pourrait y en avoir beaucoup d’autres. La mise en relation s’est fixée sur ce point, mais en faisant glisser sous le même signifiant l’ensemble des significations possibles, on peut envisager bien d’autres points de correspondance.
Cette signfication est incongrue, mais parfaitment légitime. Le caractère flottant du processus de signification est donc bien souligné et c’est cela, principalement que nous devons retenir de ce passage.

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1. Ceci n’est pas…
La démarche de Lacan pourrait faire sens dans un autre contexte qui n’est pas le nôtre ici, mais qu’il vaut la peine d’examiner. Le nominalisme s’appuie sur le langage, donc sur les mots. En gros, la vérité est dans la consistance des mots. Or qu’en reste-t-il si un signifiant peut signifier quasiment n’importe quoi ?
Nous avons toutes les peines du monde à nous déprendre de l’illusion que le signifié se lit tout constitué dans le signifiant. Pour y parvenir, nous devons considérer l’algorithme tel que Lacan le décrit : deux flux, qui plus est de sens contraires, et de temps en temps un point de jonction entre les deux (point de capiton nous dira Lacan). Ce point de contact, Lacan nous le décrit comme « le signifiant qui entre dans le signifié ». Ce qui, notons-le au passage, veut dire qu’il faut tenir le signifié comme préexistant à cette entrée.
En effet, si « le signifiant entre dans le signifié » ou, en d’autres termes, si le signifié est investi par le signifiant, cela nous oblige a penser que le signifiant ne survient pas en terrain vierge. Le signifié est là – quel qu’il soit – constitué, mais prêt à être bousculé par cette pénétration du signifiant. Imaginons un cortège qui cheminerait solennellement et qui serait soudain frappé par un orage de grêle. Il en serait forcément perturbé et, sans cesser d’être un cortège, il devrait se réorganiser. Mais il faudrait d’abord que les participants comprennent ce qui leur arrive. Dans le cas précis, le signifiant « hommes dames » surgit sur mon parcours et je comprends aussitôt : WC. Pour que cette connexion soit possible, il faut que j’aie une expérience véritable des usages du monde dans lequel j’évolue.

2. Mais nul exemple …
Le « gag » des deux portes est un exemple construit. Mais on le retrouve en vrai, dans l’anecdote rapportée par Lacan, ce qui conforte, ou confirme son hypothèse.

3. Un train arrive en gare …
Deux enfants dans un compartiment de chemin de fer. La vitre les sépare du monde extérieur. Tous les éléments de l’algorithme sont posés. A l’extérieur se manifeste un signifiant. Une vitre marque clairement une séparation (mais notons que plus loin, c’est aux rails que Lacan attribuera cette fonction de séparation). Dans le compartiment, deux sujets qui perçoivent le monde chacun à sa manière bien que l’essentiel soit commun aux deux. Ils sont tous deux de par leur (brève) expérience de la vie structurés comme des réalisations du flux du signifié.
C’est alors que dans le flux des signifiants possibles, c’est-à-dire dans ce qu’ils peuvent saisir d’éléments signifiants dans le réel, surgissent deux mots, chacun des enfants n’en retenant qu’un seul : et c’est ainsi que s’introduisent dans le signifié « désignation du lieu où nous sommes » les noms Hommes et Dames, et que s’instaure la dispute. Dispute essentielle à montrer le caractère équivoque de tout signifiant et la part du sujet dans la cristallisation du sens.
Par ailleurs je suggère au lecteur éventuel de méditer la proposition suivante : Et si le signifié n’était que ce qui fait encore défaut à mon propre système signifiant ?

4. Outre en effet que …
Je ne sais pas si vous voyez clairement cela, mais les rails, si rigides soient-ils, ne sont jamais une barrière. On les traverse facilement, même si ce n’est pas sans risque. La contrainte, ici, ne peut être que celle du parcours obligé. Le flux du signifié ne coule pas au hasard. Il suit un chemin, le chemin du désir dans le schéma de l’ouvre-bouteille. Ici, en dépit de ce qu’en dit Tennessee Williams, c’est le train qui est nommé désir.
La résistance de la barre n’est pas dialectique. Je ne suis pas trop sûr de mon fait, mais je dirai néanmoins que la dialectique est l’échange créateur des points de vue, l’affrontement fécond de deux forces équivalentes, aucune des deux ne cherchant à anéantir l’autre, toutes les deux orientées vers la recherche d’une vérité qu’aucun d’eux ne possède. Or, ce qui est en jeu ici n’appartient pas au même registre. Nous avons affaire à des plans différents.

Comme nous l’avons souvent fait, partons de la fin, où nous trouvons la ténèbre des significations inachevées. En d’autres termes le flux des signifiés. Il n’y a donc de significations qu’inachevées, chacune étant disponible pour un éclairage nouveau. Il faut donc imaginer un système en alerte permanente, toujours en quête de quelque fécondation signifiante, comme le sont les deux enfants qui attendent de savoir quel est le nom de ce lieu où le train s’arrête. Il faut que dans ce champ de réel un signifiant se laisse apercevoir. Aussitôt capté aussitôt métabolisé. La ténèbre est éclairée. Les jeux sont faits, même si, en l’occurrence, il y a erreur des deux côtés. Le signifiant vient refléter sa lumière dans cette ténèbre. On oppose donc ici le jour à la nuit, la lumière à l’obscurité. Il y a le plan où s’opère un don et le plan où l’on ne peut que recevoir.
Mais pourquoi « centre rayonnant ». L’allusion au soleil me paraît évidente. Toute la lumière qui éclaire la ténèbre vient du même point, comme si tout ce qu’il pouvait y avoir de signifiant pouvait être mentalement rassemblé en un même lieu. L’allusion au soleil me paraît évidente.

5. Car il va porter …
La Dissension est un fait, quasiment une loi de la nature. C’est bien de là que nous partons. Mais pour comprendre aussitôt que du fait du langage cette loi de la nature se trouve métamorphosée et prend les dimensions de la guerre idéologique, où il n’y a pas d’oubli. Ce qui dans le monde réel n’est qu’un éternel recommencement de crises sans lendemain devient sous l’emprise du langage un enchaînement de haines inextinguibles.
Et surtout, des enjeux se créent.