Les lois de l’inconscient 511-512

1. Le retour au texte …
On distingue ici technique et découverte. Les analystes que Lacan dénonce veulent bien de la tecchnique ou de ce qu’ils pensent être la technique de Freud, mais ne s’embarrassent pas de la théorie qui la sous-tend. Dès lors, déconnectée, la technique part à la dérive.
La notion de retour au texte, thématique qui renvoie clairement aux efforts d’une religion retournant à ses fondamentaux, pourrait être mal comprise aujourd’hui du fait de la grande résurgence des fanatismes religieux. Pour Lacan, le texte de Freud n’a jamais été un texte sacré. S’il faut y revenir, ce n’est pas parce qu’il constitue La Vérité, c’est parce qu’il n’a pas encore été vraiment compris. Le malentendu a surgi du temps de Freud déjà. Il s’agit donc d’aller chercher dans le texte, à la source, les termes d’une problématique restée en suspens. Nous n’avons pas le choix, puisque Freud n’est plus là pour témoigner en personne de sa découverte. Si l’on se réclame de la psychanalyse, la moindre des choses consiste donc à lire Freud dans le texte.
On y trouvera la cohérence de la technique et de la découverte, donc le fondement théorique nécessaire à cette technique et, surtout, le démenti de cette idée que Freud serait arrivé par tâtonnement, au hasard, à son élaboration.

2. C’est pourquoi toute rectification …
Rectification, pourquoi pas, mais à condition qu’on sache bien ce qu’on rectifie et pourquoi et que le point de départ de cette pensée rectificatrice soit bien la découverte freudienne. On peut réfuter Freud, mais à condition que ce soit bien Freud qu’on réfute et non un homme de paille, créature imaginaire issue d’un malentendu.
Ce qui compte chez Freud, ce n’est pas telle ou telle proposition intéressante, c’est le point de vue adopté d’entrée de jeu, point de vue qui seul permet de disposer à leur place les différents éléments de la doctrine.

3. Car dans l’analyse …
Le point de départ, c’est l’analyse du rêve, la Traumdeutung. Ce n’est pas parce que le rêve l’intéressait que Freud en a fait l’étude mais parce que le rêve est la formation de l’inconscient la plus propice à une mise en évidence des lois de l’inconscient, dans leur extension la plus générale. La Traumdeutung représente pour Freud un socle théorique qui ne sera jamais remis en cause. C’est précisément ce qui constitue le centre du présent article.
Ainsi donc, l’inconscient est soumis à des lois et pour mettre ces lois en évidence, il fallait un autre champ d’investigation que la clinique, car on aurait beau jeu alors d’affirmer que l’inconscient n’a de sens que dans le champ de la pathologie. Ces lois de l’inconscient valent pour tout le monde; c’est donc à partir d’un phénomène touchant tous les humains qu’on pourra les mettre en lumière de la manière la plus indiscutable.

4. Mais dans un cas …
Ce paragraphe, plus long que la moyenne comporte plusieurs éléments que nous allons ici bien détacher les uns des autres.
D’abord la thèse principale : L’inconscient ne laisse aucune de nos actions hors de son champ. On peut se figurer (provisoirement) l’inconscient comme un champ de forces qui gouverne toutes nos actions. On peut ne pas soupçonner l’existence de ce champ de forces et croire que nos actions sont exactement comme elles nous apparaissent, à savoir libres et pleinement conscientes. L’expérience analytique nous permet de constater que ce n’est pas le cas.
C’est évidemment une affirmation capitale. Il n’y a donc pas un mode inconscient et un mode conscient. L’inconscient est toujours en action. Il n’est dès lors plus possible de s’appuyer sur la notion d’une pensée consciente totalement libre, complètement dégagée de toute influence. Depuis Freud, tout comportement humain sans aucune exception, se ressent du travail de l’inconscient.
Ensuite, une remarque intéressante à propos de la psychologie. L’ordre psychologique est ici assimilé aux fonctions de relation de l’individu.
L’inconscient n’est pas un phénomène psychologique. Il a bien une expression dans l’ordre psychologique, mais ce n’est pas à la psychologie d’en rendre compte. Avertissement clairement formulé à tous ceux qui voudraient intégrer la psychanlyse au champ de la psychologie générale et la subordonner à ses lois.
Ce que dit Lacan : la psychologie est capable de dire qu’il y a des effets psychiques conscients et des effets psychiques inconscients. A ce titre, le concept d’inconscient fait sens pour le psychologue, mais dans ce cas, ce n’est pas de l’inconscient freudien qu’il s’agit.

512
1. Il s’agit donc de définir la topique …
Attention ! Ce passage est capital et doit être parfaitement compris.
Nous sommes ici dans la topologie que je comprends comme la science des espaces et tant que milieux où des objets sont situés les uns par rapport eux autres et mis en relation.. Tout phénomène, de quelque ordre que ce soit se déroule non pas dans l’espace, comme s’il n’y en avait jamais qu’un seul, mais dans un espace. Il nous faut donc une science des espaces, comme nous avons une science des choses qui se déroulent dans un espace, le plus souvent l’espace euclidien de nos vacations quotidiennes.
L’inconscient a son espace propre. La topique de cet espace nous fournira les caractéristiques de celui-ci.
L’algorithme « saussurien » est cette topique.
En gros : nous avons deux « objets », le signifiant et le signifié, et une relation particulière entre les deux marquée par une frontière, une ligne de séparation, une barre. En d’autres termes : il n’y a rien dans le signifiant qui soit le signifié et il n’y a rien dans le signifié qui soit le signifiant, et pourtant il y a un rapport de dépendance entre les deux marqué dans l’algorithme par la position dominante (en haut) du signifiant. Mais nous ne sommes pas là pour répéter ce qui a déjà été dit.

2. Ce qu’il nous a permis …
Dans les pages qui précèdent, nous avons mis en évidence la proposition suivante : l’algorithme saussurien est une fonction du signifiant. Le signifié est mis non pas tellement sous la dépendance, mais sous l’influence décisive du signifiant. Cette nuance est essentielle. Il ne faut pas voir le signifié comme un produit du signifiant, mais bel et bien comme un système de représentations organisé, structuré, que le signifiant de l’algorithme vient perturber au point de l’obliger à se réorganiser. Dans l’exemple fourni par Lacan, l’enfant qui affirme que le lieu où il se trouve s’appelle « Dames » ne peut le faire que s’il sait qu’il se trouve dans un lieu qui doit avoir un nom, que dans une gare le nom du lieu figure sur un écriteau, etc. En découvrant le mot « Dames » sur un écriteau, il a adapté son système de référence en conséquence. Telle est l’action du signifiant. Une fois le signifiant perçu et reconnu comme signifiant, tout le travail de signifiance tient dans l’interprétation qui en résulte.
Nous pouvons désormais symboliser cela de la manière suivante :
f(S) 1/s
Ôtons-nous de l’esprit l’idée d’une symbolisation proprement mathématique. et essayons d’interpréter ce qui, il faut l’avouer, n’est guère explicite.
Je pense que nous pouvons lire f(S) comme fonction du signifiant ou, de manière un peu grossière : ce qui s’opère au niveau du signifiant.
Or, cette opération du signifiant sur lui-même n’est pas le signifié. On ne pourrait donc poser simplement = s.
Je me contenterai de dire que la fonction du signifiant a une influence sur le signifié mais dans la mesure où celui-ci se trouve sous la barre.
Ce qui caractérise le signifié ce n’est pas d’être constitué d’une autre matière que le signifiant, c’est d’être sous la barre. Le signifié est d’ailleurs souvent lui-même une chaîne signifiante. Une chaîne signifiante oui, mais sous la barre, dans cette relation particulière à cette chaîne signifiante que sa position au-dessus de la barre définit comme étant « le signifiant ».

3. C’est de la coprésence …
Ici, dans ce paragraphe qui explicite le précédent, non seulement on réaffirme la coprésence du signifiant et du signfié, mais ce dernier est présenté comme étant les attenances (au pluriel) verticales (d’où la notation) du signifiant. Cela nous conforte dans l’idée que le signifé a pour forme, pour réalisation, un nouveau signifiant.
Viennent ensuite les deux schémas représentant l’un la métonymie et l’autre la métaphore.
Le schéma de la métonymie doit être horizontal.
Il exprime d’abord la connexion du signifiant au signifiant. On se représente un enchaînement, mais je ne suis pas sûr que la représentation de l’enchaînement des mots dans une phrase soit une bonne approximation.
Mais cette connexion a une fonction qui nous entraîne en quelques mots dans une réflexion particulièrement complexe.
Partons de l’idée que le discours intervienne en marge de la vie, au service de celle-ci en quelque sorte. Nous avons une première relation que nous appelons relation d’objet. Par exemple, nous nous tournons vers la nourriture parce que nous avons faim.
Mais dans les faits, les choses ne se passent pas aussi simplement. Le monde ne nous offre pas directement ce qui nous est nécessaire. Notre dépendance, maximale dans la première enfance, mais jamais abolie tout au long de la vie nous oblige à passer par nos semblables, à négocier avec eux l’accès à ce qu’il nous faut (ou non).
Nous passons ainsi du besoin à son expression dans la demande ; nous nous déportons sur l’ordre du langage. Nous entrons dans un procès où l’objet du besoin (la nourriture par exemple) n’est plus qu’un facteur secondaire dans ce qui se noue entre le sujet de la demande et l’Autre (la majuscule, pour l’heure signale juste que cet autre est partenaire de langage, qu’il a sa vie propre). La relation à l’Autre, destinataire de la demande, passe alors au premier plan des enjeux. J’ai certes besoin de nourriture, mais j’ai plus fondamentalement encore besoin de l’Autre, parce que c’est lui qui me donnera accès à la nourriture, et parce que plus encore. Ce « plus encore », cette ouverture sur une autre dimension, c’est la place du désir.
Et vient ici la partie la plus complexe de ce paragraphe.
a) Le signifiant supporte un manque. On ne dit pas ici que le signifiant fait ceci ou cela, on dit qu’en tant que signifiant, il est manque. On peut le voir trivialement : le mot chien n’est justement pas un chien. On peut le voir plus subtilement en considérant sa constitution, son développement sous la forme de la chaîne signifiante. Le signifiant court après quelque chose qu’il ne peut atteindre et qui est cela même pour quoi nous usons du langage.
b) Le terme d’élision est ici central. L’enchaînement métonymique se produit toujours sur le mode de l’allusion, ce qui veut dire que la signifiance est à chercher dans les trous, dans ce qui n’est pas dit, dans ce que le développement même de la chaîne signifiante écarte. L’élision consiste dans la disparition d’éléments du fait même de la construction de la chaîne. En d’autres termes, le discours qui se constitue est en même temps constitution d’un contre-discours perdu. Plus le discours s’approche de l’objet de la demande, plus il le dénature.
c) La structure métonymique détermine l’inadéquation irréductible de la demande au mouvement qui la porte.
d) C’est sur ce qui manque, sur ce qui se trouve élidé par le discours même, que porte le désir. Ce mot apparaît ici presque furtivement, mais il constitue le centre même de notre propos.

4. Voici maintenant …
La structure métaphorique : un signifiant nouveau vient à la place du signifiant premier. Il est à la fois en correspondance avec celui-ci et différent. Ce recouvrement peut-être conparé à celui de deux images qui ne coïncident pas parfaitement. C’est dans cette non-coïncidence qu’a lieu le processus de signifiance. Le signifiant ajouté vient éclairer le premier. C’est ce que Lacan appelle ici un effet de signification. C’est une émergence.
On peut dire qu’interpréter, c’est nager à contre-courant.