Plan ou pas plan ?

Jamais je n’ai pu écrire en suivant un plan. On me l’a souvent suggéré, je l’ai fait parfois, à mon corps défendant, mais toujours avec des résultats médiocres, insatisfaisants.
Encore faut-il savoir ce que l’on entend par plan, car il ne faut pas confondre le thème d’un texte, le cahier des charges qu’il doit respecter, et sa structure. J’admets que les deux premiers points fassent l’objet d’un document préalable qui commande ensuite à la rédaction ; mais, à mes yeux tout au moins et en fonction de ma propre expérience, cela ne concerne pas la structure du texte. Celle-ci, en effet, pour moi, se définit dans le processus même d’écriture, en deux temps que je détaillerai un peu plus loin.
Je conçois que le découpage en chapitre d’un roman puisse faire l’objet d’un plan, mais alors chaque chapitre se présente pour moi comme un texte bien séparé du reste. Les indications du plan concernant le chapitre en question définissent alors le cahier des charges du chapitre, pas sa structure.

Deux niveaux de structuration, deux types de plans

Le premier niveau définit la structure canonique de tout texte appartenant à un type donné : il s’agira de la structure fondamentale d’une narration ou d’une argumentation, par exemple. S’il est question d’un plan, à ce niveau, celui-ci portera sur le type du texte et non sur ce texte-ci que je suis en train d’écrire. Je n’utilise pas ce type de plan ou de schéma, mais je conçois qu’il puisse être utile d’y recourir après coup pour vérifier que les caractéristiques du type ont bien été respectées.
Le second niveau est celui du texte singulier que je rédige en ce moment précis. A mon avis le plan d’un tel texte ne se justifie, ici aussi, qu’après coup, la rédaction achevée, pour en expliciter la structure. Un travail critique rétrospectif peut être entrepris en vue de la réécriture du texte.
En tout état de cause je suis convaincu qu’un texte, même au stade du tout premier jet, n’est jamais sans structure, mais que celle-ci est toujours mieux gérée sous la forme d’une élaboration parallèle et quasi-automatique que sous la forme d’un projet explicite et préalable à l’écriture. En d’autres termes, la structure du texte est une question de flair.

Conscience et pré-conscience dans la rédaction du texte

Ce propos me renvoie à une autre question que j’aimerais bien traiter un jour : les rapports entre conscience et préconscience dans le processus d’écriture. Lorsqu’on écrit un texte, disons un texte philosophique, on s’astreint à un effort de conscience qui porte avant tout sur la transition de la phrase en cours à la phrase suivante. L’attention est focalisée sur ce point très précis. Le reste, qu’on ne saurait qualifier d’inconscient, demeure en marge de la conscience. Cela ne signifie pas que ce reste, à savoir le texte pris comme un tout d’une part et l’articulation de ses différentes parties, ne soit pas traité ; il l’est, bien au contraire, dans une constante mise à jour, mais le processus n’est pas explicite. Tous ces points devront être repris plus sérieusement en comparant les expériences de personnes différentes et, surtout, en tenant compte de la littérature parue sur le sujet.

Trois situations d’écriture

Quand j’écris un texte. En schématisant au maximum, je rencontre trois situations.
a) Rien ne vient, je ne me sens pas inspiré. Je me console en me disant que je ne suis pas là pour écrire n’importe quoi sur commande, mais je sais bien que je suis de mauvaise foi en pensant cela. Pourtant, à n’en pas douter, tous les moments, toutes les circonstances ne sont pas favorables à l’écriture. Sans entrer dans les détails, supposons une condition préalable, correspondant en gros à « être dans le coup ».
b) J’écris, de telle sorte que j’ai le sentiment de ne pas gaspiller mon temps. Les phrases s’enchaînent, j’ai même des trouvailles, il me semble que les choses se clarifient et que je vais dans la bonne direction. Dans cette situation, il me vient toujours une phrase après l’autre. Mais je sens que je manque de recul. J’avance, mais je ne sais pas vraiment vers quoi.
c) J’ai soudainement l’impression de voir émerger du brouillard l’édifice que je suis en train de construire ; je deviens capable d’embrasser la structure d’un seul regard intérieur. En d’autres termes, je comprends ce que je suis en train de faire. C’est le moment où je puis reprendre le tout depuis le début. Lors de ce second parcours, la structure d’ensemble, antérieurement latente, demeure à peu près sans changement ; mais je me rends compte que le chemin que j’ai suivi n’est ni le plus court ni le meilleur, que j’ai franchi certains obstacles sans savoir ce que je faisais, ou alors que je me suis carrément fourvoyé. Ce qui me semblait intéressant au premier passage m’apparaît maintenant maladroit, impossible à maintenir en l’état. Et surtout, je constate que certains développements auxquels j’attribuais telle fonction ou tel sens lors de la première rédaction se révèlent en avoir d’autres dans l’édifice qui se met en place.

En guise de conclusion, quelques remarques.

  1. En me relisant je suis très sensible au caractère conjectural de tout ce que l’on peut dire quand on réfléchit à la manière dont on pense ou écrit. Ce n’est pas parce que je le dis, ni même parce que je le dis avec la plus grande sincérité, que c’est la vérité. Il s’agit toujours de justifications après coup, qui peuvent sembler tout à fait pertinentes mais qui n’en restent pas moins sujettes à caution. Chaque fois qu’on tente de justifier ainsi tel aspect du passé, il faudrait se demander à quel aspect du présent cela correspond.
  2. Par ailleurs, je suis frappé par le recours systématique aux métaphores, à celle de la progression sur un chemin en particulier. La métaphore me paraît inévitable. Or, dans toute métaphore de ce genre, il y a passage du « c’est ainsi » au « c’est comme », « cela peut être compris sur le mode de… », donc passage d’un niveau supérieur à un niveau inférieur, d’un traitement direct du thème choisi à un traitement indirect. Peut-être est-il impossible d’exprimer les choses autrement.