Au-delà du principe de plaisir
Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Petite bibliothèque Payot, pp. 49 – 128
On peut évidemment se demander s’il est opportun de publier ces notes, qui n’ont rien à voir avec un véritable article. Je le fais néanmoins, pour permettre à un éventuel lecteur de prendre rapidement connaissance du contenu du texte de Freud et de ses principales articulations. Après tout, c’est un outil de travail comme un autre.
Première partie
p. 49
Proposition initiale : Il est acquis pour la psychanalyse que le principe de plaisir règle automatiquement le cours des processus psychiques.
L’absence de déplaisir ou la production de plaisir dépendent d’un abaissement de la tension dans l’appareil psychique.
Il convient d’aborder la question d’un point de vue économique.
Un mode d’exposition tenant compte du facteur économique en plus des facteurs topique et dynamique est appelé « métapsychologie ».
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Nous laisserons à la philosophie le soin de s’interroger sur la signification des sensations de plaisir et de déplaisir.
Nous mettons en rapport dans la vie psychique plaisir et déplaisir avec la quantité d’excitation non liée.
Le déplaisir correspond à une élévation, le plaisir à une diminution de cette excitation. Mais le rapport n’est ni simple ni proportionnel.
Le facteur déterminant semble être le taux de variation dans un certains laps de temps.
La conception de Fechner correspond aux données de la psychanalyse.
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On peut mettre en relation le couple plaisir-déplaisir avec le couple stabilité-instabilité.
Proposition : Tout mouvement psychophysique qui passe le seuil où la conscience est affectée est de plaisir dans la mesure où, au-delà d’une certaine limite, il se rapproche de la stabilité complète, et affecté de déplaisir dans la mesure où il s’en éloigne au-delà d’une certaine limite.
Nous faisons l’hypothèse que l’appareil psychique tend à maintenir aussi basse que possible la quantité d’excitation. C’est une autre formulation du principe de plaisir. Le principe de plaisir se déduit donc du principe de constance.
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On ne doit pas dire que le principe de plaisir domine le cours des processus psychique, car il est contrecarré par d’autres forces ou conditions.
Tout processus psychique n’aboutit donc pas au plaisir.
Les circonstances qui s’opposent au principe de plaisir sont pour l’essentiel de deux ordres :
a) La mise en oeuvre du principe de réalité
Le principe de plaisir convient au mode primaire du travail de l’appareil psychique.
Il ne tient pas compte du monde extérieur et doit être relayé par un principe de réalité sous l’influence des pulsions d’auto-conservation du moi. Cela se traduit par un ajournement de la satisfaction et une tolérance provisoire au déplaisir.
Le principe de plaisir, mode de travail des pulsions sexuelles, peut déborder le principe de réalité, mais au détriment de l’organisme.
b) Le retour du refoulé
Une autre source de déplaisir est la production de conflits et de clivages que provoque le développement du moi vers des organisations plus différenciées.
Les motions pulsionnelles innées, source principale de l’énergie qui remplit l’appareil psychique, ne se développent pas toutes au même rythme. Et surtout, certaines sont incompatibles avec celles qui sont aptes à se joindre à l’unité englobante du moi.
Le refoulement opère le clivage entre pulsions non intégrées et pulsions intégrées.
Les pulsions non intégrées sont bloquées à des stades inférieurs de développement et coupées des possibilités de satisfaction.
Si ces pulsions parviennent tout de même à se frayer un chemin détourné de satisfaction, elles sont sources de déplaisir.
Le refoulement transforme donc une possibilité de plaisir en déplaisir et tout déplaisir névrotique est un plaisir qui ne peut être éprouvé comme tel.
Ces deux sources de déplaisir ( a et b ci-dessus) ne couvrent pas l’ensemble des expériences déplaisantes. La plus grande part du déplaisir éprouvé provient des perceptions : perception de la poussée pulsionnelle insatisfaite ou perception extérieure.
En général, les principes de plaisir et de réalité expliquent les choses de façon adéquate, mais il y a des exceptions.
Deuxième partie
p. 55
Cette partie est consacrée à la présentation de deux phénomènes dans lesquels se manifestent clairement la compulsion de répétition. Cette dernière nous mettra sur la voie de cet «au-delà du principe de plaisir» dont il s’agit ici.
a) La névrose traumatique
Elle n’est pas provoquée par une lésion organique.
Elle ressemble à l’hystérie, mais s’en distingue par un affaiblissement et une perturbation généralisée des fonctions psychiques.
La compréhension de ces névrose nous échappe encore.
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Elle présente trois caractéristiques notables :
– le facteur de surprise, l’effroi ;
– le fait qu’une lésion organique permet d’empêcher sa survenue ;
– le fait que la vie onirique du patient est marquée par le retour incessant à la situation qui a provoqué la névrose et une reviviscence de l’effroi.
Freud souligne les différences entre l’effroi, la peur et l’angoisse : l’effroi est provoqué par l’irruption par surprise d’un péril extrême non identifié ; la peur provient d’une source de danger connue ; l’angoisse est l’attente d’un danger connu ou inconnu, une préparation à celui-ci.
L’angoisse ne débouche pas sur une névrose traumatique.
Comment tente-t-on d’expliquer la répétition à l’oeuvre dans la vie onirique des névrosés traumatiques ?
Première hypothèse erronée :
La névrose traumatique serait due à la seule force de l’impression produite.
p. 57
Il y aurait de ce fait fixation au moment du traumatisme.
Mais dans ce cas, il faudrait que les malades soient hantés en permanence (de jour comme de nuit) par leur accident, ce qui n’est pas le cas.
Le retour en rêve à la situation pathogène ne « colle » pas du tout avec ce que nous savons du rêve. Normalement, le rêve devrait ramener le patient à l’époque où il était en bonne santé ou lui faire espérer une guérison.
La thèse selon laquelle le rêve accomplit le désir semble prise en défaut.
– Freud ne veut pas se contenter de l’idée que ce genre de rêve constituerait une exception.
– Il se refuse également à admettre que ces rêves accompliraient le « désir » des tendances masochistes du moi.
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L’exposé sur ce point s’arrête là, abruptement, et l’on passe au second phénomène, le jeu du fort-da, qui relève du fonctionnement psychique normal.
Jusqu’ici, on s’est intéressé (Pfeifer) aux jeux des enfants en essayant de comprendre leurs mobiles. Freud va reprendre la question du point de vue économique, celui du gain de plaisir.
Le jeu du fort/da, première manière (« fort » seulement) :
– L’enfant a bon caractère et ne pleure pas quand sa mère s’absente.
– Il jette au loin tout ce qui lui tombe sous la mains (ses jouets ne lui servent qu’à cela) en criant oooo ! (« fort! » parti !).
– Il manifeste alors de l’intérêt et de la satisfaction.
p. 59
Le jeu du fort/da, deuxième manière (« fort » et « da »):
– Disparition et retour de l’objet (bobine au bout d’un fil).
– Le retour apporte une grande satisfaction.
– Il joue également à faire disparaître en se déplaçant son reflet dans le miroir (et dit « fort! »).
Le jeu est en rapport avec l’évolution de l’enfant. Il avait accompli le renoncement à la satisfaction pulsionnelle et était capable d’accepter l’absence de sa mère.
p. 60
Comment concilier la répétition sous forme de jeu d’une impression pénible avec le principe de plaisir ?
Première interprétation (irrecevable) :
Le jeu mimerait le retour de la mère et serait une anticipation du plaisir attendu.
Objection : le départ lui même est mis en scène comme jeu, plus fréquemment que le retour.
Deuxième interprétation (probable) :
L’enfant cesse de subir passivement l’événement. Il se donne un rôle actif en le répétant. On pourrait postuler l’existence d’une pulsion d’emprise sur l’événement.
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Interprétation supplémentaire (à ne pas négliger) :
L’enfant satisferait une impulsion à se venger de sa mère : Tu pars, alors c’est moi qui te jette ! A l’appui de cette interprétation, Freud décrit un autre jeu très semblable à propos du père parti à la guerre. Les objets seraient jetés à la place des personnes.
Une question se pose alors :
La poussée à élaborer psychiquement une expérience impressionnante et à assurer pleinement son emprise sur elle peut-elle se manifester de façon primaire et indépendamment du principe de plaisir ? L’enfant ne répéterait l’impression désagréable que parce qu’un gain de plaisir d’une autre sorte, mais direct, serait lié à cette répétition.
Il y a donc hésitation entre deux conceptions:
– L’enfant se rend maître de la situation par la répétition; il est dominé par le désir d’être un grand et de pouvoir faire comme les grands.
– Mais une autre source de gain de plaisir apparaît : le désir de vengeance.
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Exemple de l’enfant qui joue au docteur après avoir subi un acte médical. Sur un plan, il passe de la passivité à l’activité en jouant à être le docteur ; sur un autre, il se venge sur un camarade (son « patient ») du désagrément subi.
Cela dit, il est superflu d’invoquer une pulsion d’imitation pour rendre compte du jeu.
Freud remarque en outre que chez l’adulte, le jeu et l’imitation artistique visent le spectateur. Les impressions les plus douloureuses peuvent mener celui-ci à un haut degré de jouissance.
Conclusion :
Il existe plusieurs voies, sans sortir du cadre du principe de plaisir, pour l’élaboration psychique et la constitution en souvenir d’un vécu déplaisant.
Mais ce qui nous intéresse, c’est de savoir s’il y a des tendances plus originaires que le principe de plaisir et indépendantes de lui.
Troisième partie
p. 63
L’objet principal de cette troisième partie est de déterminer que la compulsion de répétition nous renvoie au-delà du principe de plaisir.
a) La compulsion de répétition se manifeste dans la cure analytique elle-même.
Freud nous montre comment la psychanalyse est tombée là-dessus en brossant un tableau historique en trois phases :
1. La première est dominée par l’opposition conscient – inconscient. L’analyste devine l’inconscient qui échappe au malade et lui en communique la teneur.
2. Le patient est appelé à se remémorer les éléments fournis par l’analyste. Cette tentative bute sur les résistances du malade. L’abandon de ces résistances devient alors l’enjeu majeur de la cure.
3. L’objectif de rendre conscient l’inconscient se heurte au fait que le patient n’acquiert pas la conviction du bien-fondé de l’interprétation.
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Le processus en jeu n’est pas la remémoration mais la répétition du refoulé comme une expérience vécue dans le présent à travers la névrose de transfert. La reproduction survient avec une grande fidélité indésirable. Elle a toujours pour contenu un fragment de la vie sexuelle infantile, donc du complexe d’Oedipe. Elle se joue dans le domaine du transfert.
Il y a substitution de la névrose de transfert à la névrose antérieure.
La compulsion de répétition se manifeste donc (aussi) dans le traitement analytique des névroses.
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b) D’où vient la compulsion de répétition ?
La résistance lors de la cure est le fait du moi. Le refoulé lui-même n’oppose aucune résistance. Au contraire, il cherche soit à se frayer un chemin vers la conscience, soit à se décharger sous la forme d’une action réelle. La résistance provient des mêmes couches et systèmes supérieurs de la vie psychique qui avaient produit le refoulement. Mais nous savons que les résistances commencent par être inconscientes dans la cure.
Une rectification terminologique s’impose.
On ne doit pas opposer le conscient à l’inconscient, mais le moi (avec sa cohésion) et le refoulé. Le préconscient ne recouvre qu’une petite partie du moi.
La compulsion de répétition doit être attribuée au refoulé inconscient. Mais elle ne peut se manifester avant un relâchement du refoulement du fait de la cure.
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La résistance du moi évite le déplaisir que provoquerait la libération du refoulé. Elle est donc au service du principe de plaisir.
Quand la compulsion de répétition manifeste des motions pulsionnelles refoulées, elle ne contredit pas le principe de plaisir. Ce qui est déplaisir sur un plan peut être une satisfaction sur un autre.
Mais, fait nouveau, la compulsion de répétition ramène aussi des expériences du passé qui ne comportent aucune possibilité de plaisir et qui même en leur temps n’ont pu apporter satisfaction, pas même aux motions pulsionnelles antérieurement refoulées.
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La vie sexuelle infantile précoce en est l’exemple principal. Elle est vouée au déclin. Elle se termine nécessairement par la perte d’amour et l’échec. C’est un préjudice durable porté à l’estime de soi. La recherche sexuelle de l’enfant ne peut aboutir, d’où le sentiment ultérieur que rien ne réussit.
Sentiment d’infériorité commun chez les névrosés (Marcinowski).
Le lien de tendresse qui attachait l’enfant surtout au parent de sexe opposé a succombé à la déception, à la jalousie (sentiment de trahison) lors de la naissance d’un nouvel enfant.
Le dédain est devenu son lot.
Dans le transfert, les névrosés répètent et font revivre toutes ces situations affectives douloureuses.
Ils aspirent à interrompre la cure inachevée, ils se sentent dédaignés par le médecin.
Rien de tout cela ne peut produire du plaisir. Plus encore, on pourrait supposer que ces choses devraient provoquer moins de déplaisir en resurgissant comme souvenir ou dans les rêves plutôt qu’en prenant forme dans une nouvelle expérience vécue.
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Aucune leçon n’est tirée du fait que des pulsions qui devaient aboutir à la satisfaction n’ont apporté que du déplaisir. Cette action des pulsions est répétée malgré tout, une compulsion y pousse.
On retrouve certains de ces phénomènes dans la vie des non-névrosés. Un destin qui les poursuit. Des personnes dont toutes les relations humaines vont vers la même issue. Eternel retour du même.
« La psychanalyse a d’emblée tenu qu’un tel destin était pour la plus grande part préparé par le sujet lui-même et déterminé par des influences de la petite enfance. »
Cette compulsion de répétition est la même que celle du névrosé.
Plusieurs exemples sont donnés : ingratitude envers un bienfaiteur, homme qui finit toujours par être trahi, personne portée au pinacle puis dénigrée…
« Cet éternel retour du même ne nous étonne guère lorsqu’il s’agit d’un comportement actif de l’intéressé et que nous découvrons dans sa nature un trait de caractère immuable qui ne peut que se manifester dans la répétition des mêmes expériences. »
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Plus impressionnant quand la personne n’a aucune prise sur ce qu’elle revit.
Exemple de l’histoire d’une femme qui a eu trois maris successifs. Chacun est tombé malade peu après le mariage et elle a dû les soigner jusqu’à leur mort.
Exemple de Tancrède et de Clorinde dans la Jérusalem délivrée.
Il existe effectivement dans la vie psychique une compulsion de répétition qui se place au-dessus du principe de plaisir. Nous sommes enclins à rapporter à cette compulsion les rêves de la névrose traumatique et l’impulsion à jouer chez l’enfant.
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Nous saisissons difficilement les effets de la compulsion de répétition à l’état pur, car elle semble toujours associée à d’autres motifs.
On peut, par exemple et comme nous l’avons déjà signalé, donner plusieurs interprétations du jeu des enfants.
Dans le transfert, les phénomènes de transfert sont au service de la résistance du moi qui contient le refoulé. La compulsion de répétition est tirée de son côté par le moi, solidement attaché au principe de plaisir.
Mais on est bien obligé d’admettre que ces motifs associés ne suffisent pas et qu’il demeure dans chaque cas un résidu suffisant pour justifier l’hypothèse de la compulsion de répétition, plus originaire, plus élémentaire, plus pulsionnelle que le principe de plaisir.
Quatrième partie
p. 71
Ce qui suit est spéculation.
Notre point de départ : la conscience n’est pas le caractère le plus général des processus psychiques. Elle est une fonction, la fonction d’un système particulier. Elle nous livre des perceptions d’excitation externes et des sensations internes de plaisir et de déplaisir.
On parlera de système Pc-Cs, situé à la frontière de l’extérieur et de l’intérieur. La conscience n’est pas la seule propriété du système Pc-Cs.
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Dans les autres systèmes, tous les processus d’excitation laissent des traces durables, traces mnésiques, fondement de la mémoire.
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Mais il y a incompatibilité entre le fait de devenir conscient et celui de laisser une trace durable. La conscience apparaît à la place de la trace mnésique. Au lieu de modifier le système, le processus d’excitation se dissipe dans le devenir conscient.
Cette exception à la règle générale doit être expliquée. Elle doit l’être par un facteur qui se trouve dans le système lui-même. Principal facteur explicatif : le système Cs est en contact immédiat avec le monde extérieur.
Métaphore de la vésicule. Cette vésicule est constituée de substance sensible. Sa surface sert d’organe récepteur. Sa situation à l’extérieur la définit dans ce rôle. Analogie avec la matière grise du cortex.
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Les excitations incessantes modifient la substance de la vésicule. La surface est « brûlée » et ne peut plus être modifiée. C’est la condition pour l’apparition de la conscience.
Comment la substance de la vésicule est-elle modifiée ? L’excitation suivrait le chemin de moindre résistance (frayage).
Dans le système Cs, la résistance aurait disparu.
Retour à la distinction de Breuer entre énergie d’investissement quiescente et énergie d’investissement mobile.
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Dans (ou à travers) le système Cs ne se transmet que de l’énergie libre capable de décharge.
Retour à la métaphore de la vésicule. Les excitations provenant du monde extérieur sont telles qu’un pare-excitations est nécessaire. C’est la fonction de la couche extérieure qui a cessé d’être vivante. Les couches vivantes n’ont à se consacrer qu’aux sommes d’excitation ayant franchi le pare-excitations. Le pare-excitations est pourvu de sa propre réserve d’énergie. Les transformations d’énergie qui opèrent en lui doivent être préservées de l’influence égalisatrice, donc destructrice, des énergies extérieures excessives.
p. 76
La réception d’excitations doit renseigner sur la direction et la nature des excitations externes.
Les organes des sens ne prennent que des échantillons ; ils n’élaborent que des quantités minimes d’excitation externe.
Remarque sur Kant : le temps et l’espace comme formes nécessaires de notre pensée. Les processus psychiques inconscients sont intemporels. Ils sont non ordonnés temporellement et non modifiés par le temps. Notre représentation abstraite du temps semble dériver du mode de travail du système Pc-Cs.
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Elle correspondrait à une auto-perception de ce mode de travail.
Le Cs est la couche corticale sensitive vivante située juste après le pare-excitations. Cette couche reçoit des excitations de l’extérieur et de l’intérieur.
Les conditions dans lesquelles s’exerce l’excitation diffèrent selon qu’elle provient de l’extérieur ou de l’intérieur.
Pas de pare-excitations du côté de l’intérieur. Les excitations internes provoquent plaisir ou déplaisir. Les excitations internes sont plus adéquates au mode de travail du système que celle qui affluent du monde extérieur.
Conséquences :
– Prévalence des sensations de plaisir-déplaisir, qui servent d’index aux processus intérieurs, sur toutes les excitations externes.
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– Comportement dirigé contre les excitations internes produisant trop de déplaisir. On les traite comme si elles provenaient de l’extérieur pour utiliser contre elles le pare-excitations (projection).
Tout cela nous aide à comprendre la domination du principe de plaisir.
Examen des cas qui s’opposent au principe de plaisir :
– L’excitation traumatique : effraction du pare-excitations par des excitations externes. Débordement des moyens de mise à l’écart des excitations.
Perturbation dans le fonctionnement énergétique de l’organisme et mise en mouvement de tous les moyens de défense.
Il s’agit de maîtriser l’excitation, de lier psychiquement les sommes d’excitation qui ont pénétré par effraction pour les liquider.
– La douleur physique est une effraction du pare-excitations sur une étendue limitée. Afflux continu d’excitation, ce qui ne se produit ordinairement qu’avec des excitations d’origine interne.
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Face à cette effraction :
– Rappel d’énergie d’investissement venant de partout. Création dans le voisinage du point d’effraction d’investissements énergétiques d’intensité correspondante.
– Appauvrissement de tous les autres systèmes psychiques.
On en conclut qu’un système fortement investi peut admettre un afflux supplémentaire d’énergie et la lier psychiquement.
La capacité de liaison est fonction du niveau d’investissement quiescent.
Remarque importante :
L’élévation de l’investissement autour du point d’effraction n’est pas alimentée de l’extérieur. Dans ce cas, l’appauvrissement de l’ensemble des systèmes resterait inexpliqué.
Les violentes actions de décharge provoquées par la douleur se déroulent, elles, de façon réflexe, sans médiation de l’appareil psychique.
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Les considérations métapsychologiques demeurent conjecturales.
Suppositions :
Le processus d’excitation s’accomplit avec des énergies différant quantitativement.
Conception de Breuer : un système peut être rempli d’énergie de façon libre (flux conduisant à la décharge), ou quiescente.
La liaison consisterait à faire passer l’énergie de l’état libre à l’état quiescent.
La névrose traumatique commune :
– Effraction étendue du pare-excitations.
– Version freudienne de la théorie du choc. On ne s’arrête pas à la lésion organique, mais on cherchera à comprendre ses effets sur l’organe psychique à partir de l’effraction du pare-excitations.
p. 81
– L’effroi trouve sa condition dans le manque de préparation par l’angoisse.
– L’investissement trop bas fait que les systèmes sont incapables de lier les sommes d’excitation provenant de l’extérieur.
– La préparation par l’angoisse, le surinvestissement des systèmes récepteurs : dernière ligne de défense du pare-excitations.
– Les rêves récurrents qui ramènent à la situation de l’accident ne sont pas au service de l’accomplissement de désir. Par leur caractère répétitif, ils se mettent à la disposition d’une autre tâche qui doit être accomplie avant que la domination du principe de plaisir puisse commencer. Leur but est la maîtrise rétroactive de l’excitation sous développement d’angoisse.
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Mise en lumière d’une fonction de l’appareil psychique plus originaire que la recherche du gain de plaisir et de l’évitement du déplaisir.
Les rêves d’angoisse et de punition sont des rêves d’accomplissement du désir.
Mais les rêves de névroses d’accident et ceux qui nous ramènent le souvenir des traumatismes psychiques de l’enfance obéissent à la compulsion de répétition.
Le rêve ne peut devenir accomplissement de désir avant que l’ensemble de la vie psychique ait accepté la domination du principe de plaisir.
On doit donc admettre le fait d’un au-delà du principe de plaisir.
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Retour sur les névroses traumatiques.
– Hypothèse de névroses traumatiques favorisées par un conflit du moi.
– Explication du fait qu’une lésion organique diminue les risques de névrose traumatique. L’ébranlement mécanique est source d’excitation sexuelle. La violence mécanique du traumatisme libérerait un quantum d’excitation sexuelle. Surinvestissement narcissique de l’organe atteint liant l’excitation en excès.
– Remarque sur la mélancolie, qui peut être supprimée par une affection organique intercurrente.
– Il en va de même pour la démence précoce.
Cinquième partie
p. 85
La couche corticale réceptrice ne comporte pas de pare-excitations vers l’intérieur. Cela entraîne, du point de vue économique, la prépondérance des transferts d’excitation interne. Il peut en résulter des perturbations économiques comparables aux névroses traumatiques.
Les sources principales de l’excitation interne sont les pulsions de l’organisme, lesquelles sont les représentantes des forces agissantes provenant de l’intérieur du corps. Elles remplissent une fonction de transmission dans l’appareil psychique. Les motions pulsionnelles sont librement mobiles et poussent à la décharge. Ces processus sont connus par l’étude du travail du rêve. Ils diffèrent dans les systèmes inconscients et dans les systèmes préconscients. Dans l’inconscient, les investissements peuvent être en entier transférés, déplacés, condensés.
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Cela explique les singularités du rêve manifeste où des restes diurnes sont élaborés selon les lois de l’inconscient.
Dans l’inconscient : processus primaires caractérisés par l’investissement librement mobile ; processus secondaires caractérisés par les modifications de l’investissement lié ou tonique. Toutes les motions pulsionnelles ont leur point d’impact dans les systèmes inconscients et suivent le processus primaire. Les couches supérieures de l’appareil psychique ont pour tâche de lier l’excitation pulsionnelle qui arrive sous forme de processus primaire. C’est l’échec de cette liaison qui peut provoquer une perturbation analogue à la névrose traumatique.
Le principe de plaisir (et le principe de réalité) ne peuvent établir leur domination qu’une fois la liaison accomplie. Auparavant prévaut pour l’appareil psychique la tâche de maîtriser ou de lier l’excitation. Cette tâche s’accomplit indépendamment du principe de plaisir, ce qui ne veut pas dire contre lui.
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Les manifestations de la compulsion de répétition ont un caractère pulsionnel. Si elles s’opposent au principe de plaisir, elles prennent un caractère démoniaque.
Dans le jeu d’enfant, la répétions améliore la maîtrise de l’enfant. Maîtrise d’une impression forte qu’il ne pourrait autrement éprouver que passivement. Cette répétition ne contredit pas le principe de plaisir ; elle est même source de plaisir. En revanche, chez l’analysé, la répétition des événements de l’enfance dans le transfert se place de toute façon au-dessus du principe de plaisir.
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Les traces mnésiques refoulées des expériences vécues originaires ne sont pas présentes chez l’analysé à l’état lié. Elles sont dans une certaine mesure inaptes au processus secondaire. C’est l’absence de liaison qui les rend capables de former, par conjonction avec les restes diurnes, un fantasme de désir qu’il appartient au rêve de présenter de façon figurée.
La compulsion de répétition peut être aussi un obstacle thérapeutique. Elle apparaît également, particulièrement démoniaque, quand on redoute d’éveiller quelque chose qu’on ferait mieux de laisser dormir.
Sur la nature de la relation entre le pulsionnel et la compulsion de répétition :
Nous sommes sur la piste d’un caractère général des pulsions et peut-être de la vie organique dans son ensemble. « Une pulsion serait une poussée inhérente à l’organisme vivant vers le rétablissement d’un état antérieur que cet être vivant a dû abandonner sous l’influence perturbatrice de forces extérieures. »
Elle serait une sorte d’élasticité organique ou, si l’on veut, l’expression de l’inertie dans la vie organique.
p. 89.
Il s’agit là d’une conception de la pulsion étrange en apparence. Nous considérons habituellement la pulsion comme quelque chose qui pousse en avant, et voilà que nous devons y reconnaître l’expression de la nature conservatrice du vivant.
On peut évoquer plusieurs exemples :
– les migrations de certains poissons à l’époque du frai ;
– le vol migratoire des oiseaux de passage ;
– l’embryologie et le phénomènes de l’hérédité, preuves éclatantes de la compulsion de répétition organique.
Question : y a-t-il, en dehors des pulsions conservatrices d’autres pulsions poussant à la production de nouvelles formes et au progrès ?
Freud reviendra ultérieurement sur cette question.
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Pour l’heure, poursuivons jusqu’à ses dernières conséquences l’hypothèse selon laquelle toutes les pulsions veulent rétablir quelque chose d’antérieur. Selon cette hypothèse, les résultats effectifs du développement organique sont dus à des influences extérieures qui le perturbent et le détournent de son but. Sinon, le cours de la vie se répéterait toujours à l’identique.
Ce qui laisse en dernière analyse sa marque sur le développement des organismes devrait être l’histoire du développement de la terre et de sa relation au soleil. Les modifications du cours vital ainsi imposées ont été assimilées par les pulsions organiques. Celles-ci les répètent et nous donnent l’impression fallacieuse de forces tendant vers le changement et le progrès. De fait, elles ne font que chercher à atteindre un but ancien par des voies à la fois anciennes et nouvelles.
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Tout ce qui est organique ne tend jamais vers un état qui n’ait pas été atteint auparavant. Il a toujours comme but final un état ancien, un état initial, jadis abandonné par le développement. Il tend à y revenir par tous les détours du développement.
Tout être vivant meurt (retour à l’anorganique) pour des raisons internes.
Le but de toute vie est la mort. Le non-vivant était là avant le vivant. « Il advint un jour que les propriétés de la vie furent suscitées dans la matière animée par l’action d’une force qu’on ne peut encore absolument pas se représenter. » Il s’agissait peut-être d’un processus préfigurant celui de l’apparition de la conscience dans une certaine couche de la matière vivante.
La première pulsion dans l’histoire du vivant fut le retour à l’inanimé.
Des influences externe déterminantes obligèrent la substance vivante à dévier toujours davantage de son cours vital, la forçant à des détours toujours plus compliqués pour atteindre son but : la mort.
p. 92
Ce qui nous apparaît comme des processus vitaux, ce sont ces détours fidèlement maintenus par les pulsions conservatrices.
On ne peut pas aboutir à d’autres suppositions quant à l’origine et au but de la vie.
Pourtant, les pulsions d’auto-conservation tendent à contredire ce postulat. Mais ce n’est qu’une apparence.
Les pulsions d’auto-conservation perdent leur statut de pulsions originaires. Ce sont des pulsions partielles destinées à assurer à l’organisme sa propre voie vers la mort. L’organisme veut mourir à sa manière en suivant tous les détours et lutte contre les influences qui pourraient lui imposer une voie courte.
Un tel comportement est spécifique d’une tendance purement pulsionnelle par opposition avec une tendance intelligente.
p. 93
Pourtant, il ne peut en être ainsi.
Les pulsions sexuelles nous apparaissent sous une tout autre lumière. Tous les organismes élémentaires qui forment le corps d’un être vivant supérieur ne parcourent pas avec lui toute l’évolution qui conduit à la mort naturelle. Les cellules germinales se détachent de l’organisme avec tout le potentiel de dispositions pulsionnelles héréditaires et nouvellement acquises. Elles ont une existence indépendante. Placées dans des conditions favorables, elles se développent, répétant le jeu auquel elles doivent leur apparition. Une partie de leur substance accomplit à son tour le développement jusqu’à son terme tandis qu’une autre partie, nouveau reste germinal, fait retour au début du développement.
« C’est ainsi que les cellules germinales travaillent en opposition au mouvement vers la mort de la substance vivante et réussissent à obtenir pour elle ce qui doit nous apparaître comme une immortalité potentielle, même si cela ne signifie peut-être qu’un allongement du chemin qui conduit à la mort. »
La cellule germinale doit trouver des forces pour s’acquitter de cette fonction.
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Les pulsions qui veillent sur le destin de ces organismes élémentaires survivant à l’individu forment le groupe des pulsions sexuelles. Ce sont des pulsions conservatrices comme les autres qui ramènent la substance vivante à des états antérieurs.
Elles sont particulièrement résistantes à des influences extérieures. Elles préservent la vie pendant des périodes plus longues. Ce sont des pulsions de vie. Elles s’opposent au but poursuivi par les autres pulsions qui, à travers la fonction, conduisent à la mort.
Entre ces pulsions et les autres, la théorie des névroses a reconnu une opposition de première importance. On constate une sorte de rythme-hésitation dans la vie de l’organisme. « Un groupe de pulsions s’élance vers l’avant afin d’atteindre le plus tôt possible le but final de la vie ; l’autre, à un moment donné de ce parcours, se hâte vers l’arrière pour recommencer ce même parcours, en partant d’un certain point, et en allonger ainsi la durée. »
Il est possible que les pulsions sexuelles soient entrées en action dès le tout premier début. Leur travail s’oppose au jeu des pulsions du moi. Le terme de pulsion du moi est utilisé ici comme une dénomination provisoire, reliée à la première terminologie de la psychanalyse.
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A ce point, Freud effectue un retour en arrière dans la réflexion.
Toutes ces spéculations ont-elles un fondement quelconque ? Mais surtout, « est-il bien vrai qu’abstraction faite des pulsions sexuelles, il n’y a pas d’autres pulsions que celles qui veulent rétablir un état antérieur – qu’il n’y en a pas d’autres qui tendraient vers un état qui n’a pas encore été atteint ? »
Il est certainement impossible d’établir l’existence, dans le monde animal et végétal, d’une pulsion d’ensemble vers un développement plus élevé, alors même que dans les faits, une telle direction du développement est indiscutable.
N’oublions pas, cependant, que tenir un stade de développement pour supérieur à un autre relève de l’opinion. En outre, les sciences du vivant tendent à montrer qu’un développement plus élevé en un point se compense par l’apparition de formes rétrogrades.
« Haut niveau de développement et apparition de formes rétrogrades pourraient bien être l’une et l’autre les conséquences de forces extérieures qui poussent à l’adaptation et le rôle des pulsions pourrait dans les deux cas se borner à maintenir, comme source interne de plaisir, la modification ainsi imposée. »
Référence à Ferenczi.
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Il est vraiment difficile de renoncer à la croyance qu’il y aurait, dans l’homme lui-même, une pulsion de perfectionnement. Freud se refuse à croire en l’existence d’une telle pulsion interne. Le développement de l’homme ne paraît se distinguer de celui des animaux sur ce point. Si l’on observe, chez une minorité d’individus humains, une poussée inlassable à se perfectionner toujours plus, on peut la comprendre comme la conséquence du refoulement pulsionnel sur quoi est bâti ce qui a le plus de valeur dans la culture humaine.
La pulsion refoulée tend à sa satisfaction, laquelle consiste en la répétition d’une expérience de satisfaction primaire. mais les formations substitutives, les sublimations, ne suppriment pas la tension pulsionnelle.
La différence entre plaisir exigé et plaisir obtenu est à l’origine de ce facteur qui nous pousse, ne nous permettant jamais de nous en tenir à une situation établie.
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La voie rétrograde qui conduit à la pleine satisfaction est en règle générale barrée par les résistances qui maintiennent les refoulements, de sorte qu’il ne reste plus d’autre solution que de progresser dans l’autre direction de développement qui est encore libre, sans espoir d’ailleurs de pouvoir achever le processus et atteindre le but.
Les processus en jeu dans la formation d’une phobie névrotique nous fournissent le modèle de la naissance de ce qui se présente comme une « pulsion de perfectionnement » : une tentative de fuite devant une satisfaction pulsionnelle.
On ne peut même pas attribuer cette « pulsion » à tous les êtres humains. « Les conditions dynamiques de son apparition sont tout à fait généralement présentes, mais les conditions économiques ne semblent favoriser ce phénomène qu’en de rares cas. »
Les efforts d’Eros pour rassembler la substance organique en des unités toujours plus grandes tiennent lieu de cette « pulsion de perfectionnement » que nous ne pouvons admettre.
Sixième partie
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Jusqu’ici, nous avons opposé de façon tranchée les pulsions du moi (vers la mort) et les pulsions sexuelles (continuation de la vie).
C’est insatisfaisant.
Nous n’avons pu attribuer qu’au premier groupe le caractère conservateur, voire régressif correspondant à une compulsion de répétition. Les pulsions du moi, selon notre hypothèse, trouvent leur origine dans le fait que la matière inanimée a pris vie. Elles cherchent à rétablir l’état inanimé. Les pulsions sexuelles reproduisent certes des états primitifs de l’être vivant, mais tendent par tous les moyens vers l’union de deux cellules germinales différenciées. Si l’union ne se produit pas, la cellule germinale meurt. C’est seulement à cette condition que la fonction sexuelle peut prolonger la vie.
Nous ne savons rien de l’événement important que répète la reproduction sexuelle.
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Nous serions soulagés si notre construction était erronée.
Essayons de la réfuter en mettant à l’épreuve notre hypothèse concernant la mort des organismes vivants. Notre construction repose en effet sur le présupposé que tout être vivant meurt nécessairement par des causes internes.
Nous avons admis cette hypothèse sans nous poser plus de questions. Elle ne nous semble même pas être une hypothèse : tout juste idée qui va de soi. Mais il se peut que cette croyance à la nécessité interne de la mort ne soit qu’une illusion.
L’idée d’une mort naturelle est étrangère aux peuples primitifs, qui attribuent la mort à l’influence d’un ennemi ou à un esprit mauvais.
Tournons-nous vers la biologie pour mettre cette croyance à l’épreuve.
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Les biologistes ne sont pas d’accord sur la question de la mort naturelle.
Le fait que la vie a une durée moyenne déterminée (chez les animaux supérieurs) parle en faveur de la mort par causes internes.
– Selon la conception de Fliess, tous les phénomènes vitaux des organismes -y compris certainement la mort- sont liés à l’accomplissement de périodes déterminées dans lesquelles s’exprime la dépendance à l’égard de l’année solaire de deux sortes de substances vivante, l’une mâle et l’autre femelle. Mais l’influence de forces externes peut modifier profondément la date d’apparition des manifestations de la vie. Les lois de Fliess ne sont donc pas les seules à régner.
Weismann a produit des travaux sur la durée de la vie et sur la mort des organismes. Il distingue une moitié mortelle et une moitié immortelle de la substance vivante. La moitié mortelle : le soma. Seul il subit la mort naturelle. Les cellules germinales, en revanche, capables de former un nouvel individu, de s’entourer d’un nouveau soma, sont potentiellement immortelles.
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Freud se sent attiré par cette conception. Mais ce qui l’intéresse au premier chef, ce n’est pas la substance vivante, mais les forces qui opèrent en elle. On distinguera deux sortes de pulsions : celles qui cherchent à conduire la vie à la mort, et les pulsions sexuelles, qui indéfiniment tendent et parviennent à renouveler la vie.
Il s’agit du corollaire dynamique de la théorie morphologique de Weismann.
La divergence apparaît cependant, dans la façon dont Weismann tranche le problème de la mort. Weismann considère que les organismes unicellulaires sont immortels. La mort survient donc uniquement chez les organismes pluricellulaires.
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La mort des êtres supérieurs serait donc bien une mort par causes internes, mais, selon Weismann, elle ne reposerait pas sur une propriété originaire de la substance vivante. Elle ne pourrait donc être tenue pour une nécessité absolue fondée dans l’essence de la vie.
Pour Weismann, la mort est un aménagement approprié. Une fois la séparation accomplie entre soma et plasma germinal, une durée illimitée de la vie individuelle serait inutile. Le soma meurt à un moment déterminé pour des raisons internes, les protistes demeurent immortels. Selon Weismann, c’est la reproduction qui est une propriété originaire de la matière vivante. La mort serait donc une acquisition tardive des êtres vivants. On ne pourrait donc faire état de pulsions de mort remontant à l’apparition de la vie sur terre.
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Le débat provoqué par W. n’a pas abouti à des résultats décisifs. Goette voit dans la mort la conséquence directe de la reproduction. Pour Hartmann elle est la terminaison du développement individuel. Certains chercheurs ont tenté de mettre à l’épreuve expérimentalement la thèse de l’immortalité de la substance vivante chez les unicellulaires. L’expérience de Woodruff semblait établir expérimentalement l’immortalité des protistes.
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D’autres chercheurs sont parvenus à des résultats différents. Les unicellulaires eux-mêmes finissent par mourir, s’ils ne connaissent pas certaines influences rénovatrices.
Si deux animalcules peuvent fusionner l’un avec l’autre, et qu’ils se séparent ensuite, la vieillesse les épargne. La copulation des animalcules est le précurseur de la reproduction sexuelle chez les êtres plus élevés. Elle n’a rien à voir avec la multiplication, elle se limite au mélange de la substance de deux individus. L’influence réparatrice de la copulation peut être remplacée par certains agents d’excitation.
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Il est hautement vraisemblable que les infusoires soient conduits à une mort naturelle par leur propre processus vital.
L’expérience de Woodruff est critiquable, car il plaçait chaque nouvelle génération de protistes dans un liquide nutritif frais. mais les animalcules confinés dans leur propre liquide nutritif périssent. L’infusoire, laissé à lui-même, meurt donc d’une mort naturelle en raison d’une élimination imparfaite des produits de son propre métabolisme.
Mais est-il vraiment possible de résoudre la question de la mort naturelle par l’étude des protozoaires ?
Si nous abandonnons le point de vue morphologique au profit du point de vue dynamique, il devient indifférent de savoir si l’on peut prouver ou non que la mort chez les protozoaires est une mort naturelle.
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La substance qui est plus tard reconnue comme immortelle n’est aucunement séparée chez les protozoaires de la substance mortelle. « Les forces de pulsion qui tendent à mener la vie à la mort pourraient bien opérer chez eux (les protozoaires) aussi dès le début ; mais il serait très difficile de faire la preuve directe de leur présence, leurs effets étant masqués par les forces qui conservent la vie. »
Même la thèse de Weismann, qui fait de la mort une acquisition tardive, n’est pas un obstacle, car elle ne vaut que pour les phénomènes manifestes de la mort et n’interdit aucune hypothèse relative aux processus qui poussent à la mort.
L’analogie frappante entre la distinction établie par Weismann entre soma et plasma germinal et celle que nous posons entre pulsion de mort et pulsion de vie demeure et conserve sa valeur. Nous défendons une conception éminemment dualiste de la vie pulsionnelle. Selon E. Hering, deux sortes de processus se déroulent continuellement dans la substance vivante dans des directions opposées. L’un construit, assimile, l’autre démolit, désassimile. Pour Schopenhauer, la mort est le résultat de la vie, donc son but ; la pulsion sexuelle est l’incarnation de la volonté de vivre.
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Tentons un pas de plus :
On admet généralement que l’union de plusieurs cellules en une association vitale (le caractère pluricellulaire des organismes) est un moyen d’allonger la durée de leur vie. La communauté cellulaire peut continuer à vivre même si des cellules isolées doivent périr. On pourrait alors être tenté de transférer à la relation réciproque des cellules la théorie de la libido dégagée par la psychanalyse. Ce seraient les pulsions de vie ou pulsions actives dans chaque cellule qui prendraient pour objet les autres cellules dont elles neutraliseraient les processus provoqués par la pulsion de mort et les maintiendraient ainsi en vie. Certaines cellules peuvent se sacrifier dans cette fonction libidinale. Les cellules germinales, elles, se comporteraient de façon purement narcissique. Elles ont besoin pour elles-mêmes de leur libido, de la force active de leur pulsion de vie.
C’est une réserve pour l’importance activité constructrice qu’elles exercent plus tard.
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Les cellules cancéreuses peuvent être qualifiées de narcissiques.
C’est ainsi que la libido de nos pulsions sexuelles coïnciderait avec l’Eros des poètes et des philosophes qui maintient la cohésion de tout ce qui vit.
Jetons un regard sur le lent développement de notre théorie de la libido.
a) Analyse des névroses de transfert. Cette analyse nous a imposé l’opposition entre « pulsions sexuelles » dirigées vers l’objet et d’autres pulsions imparfaitement identifiées désignées sous le nom de « pulsions du moi ». Ces pulsions du moi étaient celles qui servent à l’auto-conservation de l’individu.
A ce stade, il manquait une vue sur la nature générale des pulsions. Chacun posait en principe autant de pulsions ou de « pulsions fondamentales » qu’il lui plaisait.
b) Une hypothèse sur les pulsions était nécessaire. Première tentative : faim et amour.
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Sur cette base encore fragile, l’analyse des psychonévroses pouvait conquérir tout un domaine.
« Le concept de « sexualité » – et du même coup celui d’une pulsion sexuelle- dut, bien sûr, être étendu au point d’englober bien des choses qui ne pouvaient être rangées sous le chef de la fonction de reproduction. Cela n’alla pas sans faire du bruit dans le monde rigoriste, distingué, ou simplement hypocrite. »
c) Progrès suivant avec l’approche du moi psychologique qui n’était connu au départ que sous l’aspect d’une instance refoulante, productrice de formations réactionnelles. En étudiant les phases précoces du développement, on a été frappé en psychanalyse par la régularité avec laquelle la libido est retirée de l’objet et dirigée sur le moi (introversion).
Le moi est le réservoir véritable et originaire de la libido, qui doit partir de là pour s’étendre vers l’objet.
Le moi prenait place parmi les objets sexuels. Reconnu même comme prévalent. La libido qui séjourne dans le moi est appelée narcissique. Cette libido narcissique était la manifestation de la force des pulsions sexuelles. On a été obligé d’identifier les pulsions sexuelles aux « pulsions d’auto-conservation ».
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Conclusion : l’opposition établie à l’origine entre pulsions du moi et pulsions sexuelles se révélait inadéquate. Il a fallu reconnaître la nature libidinale d’une partie des pulsions du moi. Des pulsions sexuelles, vraisemblablement à côté d’autres pulsions, opéraient donc aussi dans le moi.
Cela dit, il reste vrai de dire que la psychonévrose repose sur un conflit entre les pulsions du moi et les pulsions sexuelles.
Nous devons caractériser du point de vue topique la distinction des deux sortes de pulsions, qu’on tenait pour une différence qualitative sans plus de précision.
La névrose de transfert reste le résultat d’un conflit entre le moi et l’investissement libidinal d’objet.)
d) Reconnaissance dans la pulsion sexuelles de l’Eros qui conserve toutes choses. Il faut voir dans la libido narcissique du moi un résultat de l’addition des quantités de libido par lesquelles les cellules du soma adhèrent l’une à l’autre. Mais si les pulsions d’auto-conservation sont, elles aussi, de nature libidinale, il n’y a peut-être que des pulsions libidinales. Faut-il se reconnaître jungien ?
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Cette conclusion ne serait pas conforme à notre intention.
Nous sommes partis de la distinction tranchée entre pulsions du moi ou pulsions de mort, et pulsions sexuelles ou pulsions de vie. Nous étions sur le point de mettre les pulsions d’auto-conservation du moi au nombre des pulsions de mort. Mais nous avons dû rectifier cette position ultérieurement. Notre conception est clairement dualiste ; mais l’opposition n’a plus lieu entre les pulsions du moi et les pulsions sexuelles mais, de manière plus tranchée encore, entre pulsions de vie et pulsions de mort.
La théorie de Jung est moniste. Il ne reconnaît qu’une seule force de pulsion.
Une objection cependant : avant que nous ayons clairement reconnu le narcissisme, nous supposions déjà que les pulsions du moi avaient attiré à elles des composantes libidinales. Il y aurait donc, à l’oeuvre dans le moi, d’autres pulsions que les pulsions libidinales d’auto-conservation.
L’analyse du moi n’a pas suffisamment progressé. L’analyse n’a permis de prouver jusqu’ici (1920) l’existence que des seules pulsions libidinales. Il y a d’autres pulsions du moi que nous ignorons encore.
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La théorie des pulsions reste obscure mais ce n’est pas une raison pour rejeter toute idée prometteuse.
Nous partirons désormais de la grande opposition entre pulsion de vie – pulsion de mort.
L’amour d’objet montre une seconde polarité de ce genre : amour (tendresse) et haine (agressivité). Il serait nécessaire de mettre ces deux polarités en relation, ou tout au moins d’essayer de le faire. Nous avons toujours reconnu une composante sadique à la pulsion sexuelle. Cette composante sadique peut se rendre indépendante et dominer comme perversion toute la vie sexuelle de l’individu. Elle se détache comme pulsion partielle dominante dans une des organisations prégénitales.
Mais comment pourrait-on déduire de l’Eros qui conserve la vie, la pulsion sadique qui a pour but de nuire à l’objet ?
Hypothèse : « N’est-on pas invité à supposer que ce sadisme est à proprement parler une pulsion de mort qui a été repoussée du moi par l’influence de la libido narcissique, de sorte qu’elle ne devient manifeste qu’en se rapportant à l’objet ? Il entre alors au service de la fonction sexuelle au stade d’organisation orale de la libido, où l’emprise amoureuse sur l’objet coïncide encore avec l’anéantissement de celui-ci ; plus tard, la pulsion sadique se sépare et finalement, au stade où s’est instauré le primat génital, en vue de la reproduction, elle assume la fonction de maîtriser l’objet sexuel dans la mesure où l’exige l’accomplissement de l’acte sexuel. »
Le sadisme expulsé hors du moi a montré la voie aux composantes libidinales de la pulsion sexuelle. Celles-ci vont se presser à sa suite vers l’objet.
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Si le sadisme originaire n’est pas tempéré, alors on constate l’ambivalence de l’amour et de la haine dans la vie amoureuse. Ce serait un exemple de pulsion de mort. Mais cette conception aux allures mystique ne tombe pas sous le sens. Les observations cliniques ont imposé l’idée que le masochisme, pulsion partielle complémentaire du sadisme, se comprenait comme un retournement du sadisme sur le moi propre. Le masochisme, la pulsion qui se tourne contre le moi propre, serait donc un retour à une phase antérieure de cette pulsion, une régression.
On pourrait évoquer l’idée d’un masochisme primaire.
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Retour aux pulsions sexuelles conservatrices de la vie.
Nous avons noté l’action rajeunissante de la copulation chez les protistes, même si aucune division ne s’ensuit. C’est un modèle de l’effet qui résulte de l’union sexuelle. Cet effet fortifiant se produit par l’apport de nouvelles sommes d’excitation.
Cela cadre avec l’hypothèse selon laquelle le processus vital de l’individu conduit pour des raisons internes à l’égalisation de tensions chimiques, c’est-à-dire à la mort, tandis que l’union avec la substance vivante d’un individu hétérogène augmente ces tensions, introduisant pour ainsi dire de nouvelles différences vitales qui doivent alors être réduites par la vie.
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Nous avons reconnu dans la tendance à la réduction, à la constance, à la suppression de la tension d’excitation interne, la tendance dominante de la vie psychique comme l’exprime le principe de plaisir. C’est un puissant motif à l’appui de la pulsion de mort.
Mais nous ne parvenons pas à trouver pour la pulsion sexuelle le caractère de compulsion de répétition qui nous a d’abord mis sur la trace de la pulsion de mort.
L’essentiel des processus que vise la pulsion sexuelle est la fusion de deux corps cellulaires. Elle seule assure chez les êtres vivants supérieurs l’immortalité de la substance vivante. Il nous faut être mieux informé sur l’apparition de la reproduction sexuelle et sur l’origine des pulsions sexuelles en général.
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Certains biologistes voient dans la reproduction un cas particulier de la croissance (multiplication par division, germination, bourgeonnement). L’avantage de l’amphimixis aurait été maintenu et exploité dans l’évolution ultérieure. Le sexe ne serait pas quelque chose de très ancien. Les pulsions violentes qui tendent à l’union sexuelle répéteraient donc quelque chose qui a eu lieu fortuitement et qui s’est consolidé ensuite en raison de l’avantage procuré.
Mais ne doit-on pas supposer chez les protistes l’existence de quelque chose d’autre que leurs propriétés manifestes ? La conception de la sexualité à laquelle nous faisons allusion présuppose l’existence de pulsions de vie déjà à l’oeuvre dans l’être vivant le plus simple.
Si nous ne voulons pas renoncer à l’hypothèse des pulsions de mort, il faut leur associer des pulsions de vie.
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Nous sommes confrontés ici à une équation à deux inconnues.
L’hypothèse de la pulsion de mort est d’un genre si fantastique – certainement plus proche du mythe que de l’explication scientifique – que je n’oserais pas en faire état ici si elle ne satisfaisait pas à la condition même que nous cherchons à remplir : elle fait dériver une pulsion du besoin de rétablir un état antérieur.
Un mythe antique évoque cela : le discours d’Aristophane dans le Banquet de Platon. Il ne traite pas seulement de l’origine de la pulsion sexuelle, mais aussi de la plus importante de ses variations quant à l’objet.
Dans une note, Freud évoque l’origine du mythe platonicien. Référence aux Upanishads.
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Faut-il hasarder l’hypothèse que la substance vivante au moment où elle prit vie se déchira en petites parties qui tendraient à se réunir à nouveau sous l’effet des pulsions sexuelles ? Ces pulsions, dans lesquelles se prolongerait l’affinité chimique de la matière inanimée, surmonteraient progressivement les difficultés qu’oppose à cette tendance réunificatrice un entourage chargé d’excitations dangereuses pour la vie.
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Freud est-il lui-même convaincu des hypothèses développées ici ?
Il déclare ne pas savoir dans quelle mesure lui-même y croit.
Cela ne doit pas l’empêcher de suivre une ligne de pensée aussi loin qu’elle peut mener. On peut se faire l’avocat du diable sans vendre son âme au diable.
C’est un troisième pas dans la théorie des pulsions, les deux premiers étant l’élargissement du concept de sexualité et l’instauration du narcissisme. Certes, nous nous appuyons sur du matériel observé quand nous parlons du caractère régressif des pulsions et de la compulsion de répétition. Mais un pur produit de la pensée nous éloigne beaucoup de l’observation. « On sait que, plus on procède ainsi en construisant une théorie, moins on peut se fier au résultat final, sans qu’il soit possible d’indiquer le degré de l’incertitude. »
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Freud ne se fie guère à l’intuition. On s’y trouve sous l’emprise de préférences profondément enracinées que nous ne faisons que servir à notre insu dans nos spéculations.
Il importe de rejeter impitoyablement tout théorie que contredit l’analyse des faits observés. Les théories qu’on professe soi-même ne peuvent donc avoir qu’une validité provisoire. Nous sommes forcés de travailler avec les termes scientifiques. Faute de quoi nous ne pourrions pas décrire les processus en question et même nous ne nous serions pas du tout aperçus de leur existence.
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La nécessité de faire des emprunts à la science biologique a considérablement accru le degré d’incertitude de notre spéculation. Les termes physiologiques ou chimiques ne relèvent, comme ceux de la psychologie, que d’un langage imagé.
Note importante à propos de la terminologie utilisée pour désigner les pulsions sexuelles. Ce que nous en savons, nous le savons par leur relation au sexes et à la fonction de reproduction.
Nous avons conservé cette appellation lorsque les acquis de la psychanalyse on obligé à rendre plus lâche la relation des pulsions sexuelles à la fonction de reproduction.
Nous avons instauré la notion de libido narcissique, puis nous avons étendu le concept de libido aux cellules individuelles.
La pulsion sexuelle devient alors Eros cherchant à provoquer et à maintenir la cohésion des parties de la substance vivante.
La pulsion sexuelle au sens strict est la part d’Eros tournée vers l’objet.
Eros à l’oeuvre dès le début de la vie : pulsion de vie opposée à la pulsion de mort.
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Hypothèse des deux pulsions l’une contre l’autre dès l’origine.
Suite de la note à propos des transformations du concept de pulsions du moi.
A l’origine, ce terme désignait tous les courants pulsionnels mal connus de nous qu’on peut distinguer des pulsions sexuelles dirigées vers l’objet. Nous opposions les pulsions du moi aux pulsions sexuelles dont l’expression est la libido. Ensuite, nous avons reconnu qu’une partie des pulsions du moi est aussi de nature libidinale et prend le moi propre comme objet. Puis nous avons admis que les pulsions narcissique d’auto-conservation font partie des pulsions sexuelles libidinales.
Nouvelle opposition corrigeant la précédente : pulsions du moi / pulsions d’objet, toutes libidinales.
Finalement, nous aboutissons à l’opposition entre des pulsions libidinales (du moi et d’objet) et d’autres pulsions à situer dans le moi, à identifier dans les pulsions de destruction. D’où l’opposition entre pulsions de vie (Eros) et pulsions de mort.
Septième partie
p. 125
« Si chercher à rétablir un état antérieur constitue vraiment un caractère si général des pulsions, nous n’avons pas à nous étonner de voir dans la vie psychique tant de processus s’effectuer indépendamment du principe de plaisir. »
Toutes les pulsions partielles partageraient ce caractère. Chacune d’elles serait en rapport avec le retour à une étape déterminée du développement. Mais tout ce sur quoi le principe de plaisir n’a pas encore acquis de pouvoir ne serait pas nécessairement en opposition avec lui. Il convient donc de déterminer la relation des processus pulsionnels de répétition avec la domination du principe de plaisir.
« Nous avons reconnu que l’une des fonctions les plus précoces et les plus importantes de l’appareil psychique est de « lier » les motions pulsionnelles qui lui arrivent, de remplacer le processus primaire auquel elles sont soumises par le processus secondaire, de transformer leur énergies d’investissement mobile en investissement en majeure partie quiescent (tonique). »
Pendant cette transformation, il ne peut être tenu compte du développement de déplaisir. Le principe de plaisir n’est pas supprimé pour autant. La transformation se produit bien au service du principe de plaisir.
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La liaison est l’acte préparatoire qui introduit et assure la domination du principe de plaisir.
Il importe de distinguer fonction et tendance de façon plus tranchée. Le principe de plaisir est une tendance. Une tendance est au service d’une fonction : faire en sorte que l’appareil psychique soit absolument sans excitations ou maintenir le quantum le plus bas possible d’excitation. Cette fonction participerait de l’aspiration la plus générale de tout ce qui vit à retourner au repos du monde anorganique. L’acte sexuel (plaisir maximum) serait lié à l’extinction momentanée d’une excitation parvenue à un haut degré. La liaison de la motion pulsionnelle serait une fonction préparatoire qui doit mettre l’excitation en état d’être liquidée dans le plaisir de la décharge.
Il convient alors de se demander si les sensations de plaisir et de déplaisir peuvent être produites de la même façon par les processus d’excitation, qu’ils soient liés ou non.
Les processus primaires (non liés) produisent dans les deux directions des sensations beaucoup plus intenses que les processus secondaires (liés).
Les processus primaires sont les premiers dans le temps. Si le principe de plaisir n’était pas à l’oeuvre en eux, il ne pourrait s’établir pour les processus ultérieurs.
Conclusion, qui n’est pas simple : l’aspiration au plaisir se manifeste au début de la vie psychique (infantile) de façon beaucoup plus intense qu’ultérieurement, mais avec plus de restrictions.
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Elle doit admettre d’être souvent tenue en échec. Plus tard, la domination du principe de plaisir est beaucoup plus assurée. Mais il ne peut éviter d’être dompté, comme les autres pulsions. Ce qui dans le processus d’excitation détermine les sensations de plaisir et de déplaisir doit être présent dans le processus secondaire aussi bien que dans le processus primaire. Notre conscience nous fait parvenir du dedans non seulement les sensations de plaisir et de déplaisir, mais aussi celles d’une tension particulière qui à son tour peut être plaisante ou déplaisante.
Hypothèses :
Ces sensations nous permettent-elles de percevoir la différence lié/non lié ?
La sensation de tension aurait-elle à voir avec la grandeur absolue de l’investissement, éventuellement avec son niveau, tandis que la série plaisir-déplaisir indiquerait la modification de la quantité d’investissement dans l’unité de temps ?
Autre élément frappant :
Les pulsions de vie ont d’autant plus affaire à notre perception interne qu’elles se présentent comme des perturbateurs et apportent sans discontinuer des tensions dont la liquidation est ressentie comme plaisir. Les pulsions de mort, en revanche, paraissent accomplir leur travail sans qu’on s’en aperçoive.
Le principe de plaisir semble être en fait au service des pulsions de mort. Il veille sur les excitations externes, tenues pour dangereuses, mais il veille tout particulièrement sur les accroissements d’excitation provenant de l’intérieur qui viendraient rendre plus difficile la tâche vitale.
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Autant de questions que nous laissons sans réponses.