Comme un nageur doit bouger ses bras et ses jambes s’il veut garder la tête hors de l’eau et respirer, j’écris.
Quand on tient un blog, on se sent obligé d’imaginer toutes sortes de raisons pour faire croire que le blog est une réponse, réponse à une situation difficile, réponse à la détresse humaine, réponse à…

Mais laissons là les détours. Un blog, tout comme un livre, tout comme n’importe quel écrit libre, cela sert avant tout à assouvir le désir d’écrire.

Je dis désir et non besoin, car il s’agit d’un impératif d’une autre nature que la nécessité de se nourrir ou de dormir. Ce qui est en cause, ce n’est pas le fait d’écrire, mais une certaine manière de réagir à l’insistance d’un vécu qui s’impose dans son altérité, qui résiste à l’assimilation qui réclame du sens. Le désir d’écrire est la manière dont se manifeste dans toute son exigence quelque chose en amont de l’écriture qui ne sera jamais mis en lumière mais que l’on pourra néanmoins entrevoir et cerner après coup, en aval, si nous nous donnons le loisir de chercher de quoi il retourne et en quoi cela nous regarde.

Tombé à l’eau, sans même me souvenir du bateau qui me portait, je peut toujours imaginer que mon véritable destin est quelque part sur la terre ferme, bien au sec. Mais voilà. Je suis dans l’eau, je n’aperçois aucune terre à l’horizon et je n’ai d’autre choix que de nager aujourd’hui pour pouvoir nager encore demain.

Comprendre, serait possible sur la terre ferme. Pour l’heure je ne puis que tenter de comprendre, donc je nage. En fin de compte, tout porte à croire qu’il n’y a rien à comprendre. La mer, rien que la mer. Et nager toujours.
La première dimension du désir qui pousse au texte est la découverte que nager vaut mieux que survivre, que la volonté de survivre peut être elle-même riche d’éléments signifiants comme si de l’effort pour ne pas couler naissait quelque chose comme un radeau, puis comme une île et peut-être comme un continent. Nous habitons notre effort même.

Et vous, les lecteurs éventuels, les passants pressés, les flaneurs ou les égarés qui me lisez, quelle est votre place dans cette histoire ? Honnêtement, je n’en sais rien. Vous faites ce que vous voulez, ce que vous pouvez. Je n’ai rien à vendre, aucune solution, aucune doctrine, je ne roule pour personne. Je n’essaie pas de rassembler des « followers », de rendre mon propos plus plaisant qu’il n’est nécessaire.
Pourtant, vous jouez là-dedans un rôle essentiel.
On peut parler tout seul, remâcher des paroles en boucle, mais ça va un moment. On n’a pas forcément toujours envie de tourner en rond. Pour échapper au cercle, il suffit que le fil du langage capte une oreille attentive.

Même le solitaire qui enferme des messages de détresse dans une bouteille s’adresse à quelqu’un, à quelqu’un qui n’existe peut-être pas, en tout cas pas pour ce message-là dans cette bouteille-là, mais quelqu’un dont la place est clairement définie puisqu’elle justifie tout le dispositif. Il y a quelque chose de vain dans cette démarche et si l’on pouvait observer les choses de loin, bien à l’abri quelque part, on pourrait en rire. Mais cette vanité ressemble tellement à la vie que d’une certaine manière elle est la vie.

Tout cela, je le reconnais n’est pas de nature à encourager la lecture de ce blog. Pourtant, je devais avoir l’honnêteté d’avouer ce que bien des gens ne diraient pas. Ce qui nous pousse en premier lieu, ce n’est pas la noble cause que nous défendons ou prétendons défendre, mais bien l’expression du désir, de ce désir que rien n’assouvit et qui constitue notre véritable moteur. Pratiquement, nous verrons qu’à prendre le chemin du désir nous posons le rapport de l’être humain au langage. Je suis de ceux dont l’existence appelle le texte.
Lectrice, lecteur, vous avez ici une place qui vous est réservée. Mais rien ne vous force à l’occuper.