On trouve de tout sur internet. Des choses intéressantes auxquelles on ne pourrait accéder autrement, mais aussi un paquet de productions quelconques et une quantité assez inquiétante de contenus toxiques.
Dans le même ordre d’idées, les acteurs sur internet ou créateurs de contenus se répartissent sommairement en trois groupes. Ceux qui partagent de véritables compétences et transmettent à qui le souhaite des données fiables et utiles ; ceux qui sont des exemples d’humanité vivant l’ordinaire de manière extraordinaire et inspirante ; d’autres encore qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas, s’attribuent des compétences dont ils sont dépourvus, ou se comportent comme des manipulateurs sournois ou des brutes épaisses. Le tout dans le même décor, avec les mêmes outils, la même capacité d’en mettre plein la vue. L’usager naïf peine à s’y retrouver. Or, nous sommes TOUS des usagers naïfs, d’une manière ou d’une autre.

Comment distinguer les contenus pertinents, ce qui est bon pour nous ou qui peut nous nuire ou nous miner ? Nous n’épuiserons pas ici la question. C’est un projet beaucoup trop ambitieux pour cet article et d’ailleurs on peut se demander si l’on peut jamais aboutir à une réponse parfaite et définitive. Notre notre propos ne vise donc pas à résoudre le problème, mais plus modestement de nous doter des moyens de surfer sans trop de risques. On peut sentir le vent et se garder de certains pièges. C’est toujours cela de pris.
Qu’est-ce qu’un contenu légitime sur internet ?

L’idée de légitimité est rassurante. Elle désigne le critère qui devrait nous permettre d’évoluer sans risque sur un terrain miné.
Sauf qu’il n’y a pas de légitimité absolue. Il y a la légitimité selon X, la légitimité selon Y. Chacun peut avoir ses critères de légitimité si bien qu’à peine évoqué le terme se dissout devant nous.
Et puisque nous devons nous contenter d’approximations, nous devons reconnaître qu’un contenu, quel qu’il soit, comporte toujours une part d’illégitimité. Bref. Retenons au moins une chose : l’exigence de légitimité a le mérite de forcer tous les intervenants, contributeurs et simples usagers, à définir explicitement leurs critères, à s’interroger sur le bien-fondé de leur démarche et à informer chacun des positions qu’ils occupent, des intérêts qu’ils servent, des croyances auxquelles ils se réfèrent.

C’est d’abord – mais pas seulement – une question éthique.
L’erreur est toujours permise, mais pas le mensonge. On peut dire des bêtises à condition que ce soit naïvement, sans volonté d’induire en erreur. Un contributeur se doit donc de fournir des gages de bonne foi. Tout contenu qui ne satisfait pas à cette condition minimale sera donc tenu pour suspect. En d’autres termes, tout contenu factuel qu’on ne peut pas vérifier ou qui ne fournit pas les éléments de sa vérification sera suspect, ce qui interdit à toute personne scrupuleuse de le transmettre tel qu’il est donné. Les journalistes honnêtes et compétents sont formés au traitement de tous ces contenus si intéressants, qui semblent tomber à pic, étayant idéalement une opinion ou une croyance. Cela s’apprend. Mais aujourd’hui, sur internet tout usager se trouve dans la position du journaliste, avec le pouvoir de diffusion du journaliste, sans y être vraiment préparé. Reconnaissons que cela peut poser de sérieux problèmes, lesquels, dans un champ aussi réactif qu’internet, peuvent engendrer de redoutables réactions en chaîne.

Cela dit, les gens de bonne foi peuvent eux aussi émettre des contenus douteux, voire trompeurs. Cela tient à deux faiblesses majeures. L’une, d’ordre affectif, est notre tendance profonde à privilégier ce qui nous fait plaisir, ce qui va dans notre sens.
L’autre, d’ordre cognitif tient à une approche naïve de la réalité et à une confiance excessive accordée à l’intuition et à ce que nous appelons le bon sens.
Examinons les choses de plus près.
1. En gros, notre amour de ce qui nous arrange est toujours un peu plus important que notre respect pour ce qui est vrai, car la vérité n’est jamais gratifiante par destination. Cela ne se traduit pas forcément par des contre-vérités, mais par la manière dont nous trions les données en fonction de nos intérêts. On ne peut quasiment pas échapper à ce travers, mais on peut en compenser les effets en ne dissimulant pas nos préférences, en énonçant clairement nos options fondamentales, nos croyances, nos allégeances. Quelqu’un qui se cache derrière un rideau pour s’adresser au monde est forcément suspect.
2. Notre « appareil cognitif » n’est pas parfait. Il est affecté d’un nombre considérable de biais que nous détaillerons ultérieurement dans d’autres articles. Ceux que cela intéressent pourront lire à ce propos le livre de Daniel Kahneman, Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012. Bref, nous croyons voir les choses telles qu’elles sont et en parler de manière pertinente, alors que nous ne faisons qu’exprimer ce que notre esprit, configuré comme il l’est, est en mesure de concevoir. Mais ce qui joue le plus souvent est l’idée spontanée que puisque nous pouvons parler à l’envi des choses qui nous entourent, celles-ci sont constituées de manière à correspondre à ce que nous en disons. Ou pour le dire d’une manière moins paradoxale, nous ne savons pas où se trouvent les limites du langage quand nous rendons compte du réel.

En conclusion sur ce point, nous dirons qu’Internet a profondément transformé l’usage du langage (sous toutes les formes qu’il peut prendre) en démultipliant la puissance du discours. Ceux qui naguère ne pouvait déployer leurs élucubrations que dans un rayon d’une vingtaine de mètres peuvent aujourd’hui les faire retentir dans le monde entier. C’est utile pour les propos constructifs mais imaginez le bruit que feraient nos ruminations et nos scènes de ménage si un système de micros et de hauts-parleurs surpuissant les répercutait à l’infini.

Bref. Nous aurons amplement l’occasion de parler de tout cela. Pour l’heure, contentons-nous du minimum indipensable à un usage immédiat.
Pour ma part, en tant que créateur de contenu (micro-créateur de micro-contenu), je vais m’efforcer de me plier à mes propres exigence, de m’expliquer autant que faire se pourra sur mes présupposés et mes croyances. Ce sera le thème du prochain article.