La raison d’être principale de ce blog étant de savoir comment évoluer dans le fatras d’informations, d’injonctions de dissimulations, d’influences patentes ou latentes qui caractérise internet mais aussi la vie tout court, je dois être tout à fait clair sur ce qu’on peut attendre ou éventuellement craindre de mon propre discours.
Comme je l’ai déjà signalé, n’étant pas ce qu’on appelle un expert certifié, je ne suis pas le dépositaire patenté d’un savoir, officiellement habilité à le diffuser.
Pour autant, je ne crois pas être un ignorant et un pur amateur, mais cela, ce n’est pas à moi d’en juger.
Mon point d’ancrage est l’expérience commune de la vie. Je pars donc d’un état de choses partagé, auquel nous sommes tous confrontés dans l’urgence du quotidien, état de choses que bien des spécialistes semblent ignorer ou aborder de manière si spécifique qu’on ne parvient pas à les suivre et que leur effort pourtant méritoire se perd dans les limbes. Lorsque parfois ils y reviennent, c’est après de si longs détours qu’une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits.
Qu’on ne se méprenne pas, je ne joue pas la candeur naïve du vécu « authentique » contre une expertise sclérosée, myope et forcément pédante. Je ne joue pas démagogiquement la carte de l’ignorance inspirée. Toutes les ressources du savoir nous sont indispensables et pleinement légitimes. Cela dit, l’expertise technique, pourvoyeuse d’instruments puissants, dangereux souvent, mais nécessaires, s’exerce dans un champ délimité tandis que les questions essentielles du sens de l’existence, de l’assomption de notre condition et des choix fondamentaux quant à l’avenir de notre espèce ne constituent le domaine réservé d’aucune discipline.
En outre, cette affaire qui nous incombe à tous réclame des moyens qui dépassent les ressources de l’intuition et du bon sens ordinaires.
Bref, ce que je suis en train de dessiner ici, ce sont les contours d’une pratique philosphique qui puisse être l’affaire de tous. Mais comment la philosophie, qui s’affiche aujourd’hui comme une discipline de grande technicité, particulièrement peu abordable par le commun des mortels, peut-elle devenir l’affaire de tous, sans perdre ni ses ambitions ni sa rigueur, sans passer par le laminoir de la vulgarisation ou, pire, sans se dévoyer dans certains sous-produits médiatiques ? Une chose est sûr en tout cas : ce n’est pas en édulcorant la philosophie qu’on y parviendra mais bien en stimulant chez tous la capacité de penser. Vaste programme, j’en conviens.

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On entend bien des gens nous dire :  » Je ne sais plus où j’en suis, je ne sais plus en quoi et en qui je dois avoir confiance ». Cette posture peut être interprétée de deux manière : le désir de renouer avec une vérité rassurante et quelque peu anesthésiante, ou l’occasion de surmonter ce besoin que nous avons de nous appuyer des vérités servies toutes cuites pour enfin reprendre pied, libérer en soi une énergie insoupçonnée et oser avancer. Le moment est venu de changer de perspective, de retourner sur soi la démarche de réflexion. Dans le désarroi, ce qu’il s’agit de comprendre en effet, c’est le désarroi lui-même.
Je ne me situe pas du côté des réponses mais des questions, de ces questions auxquelles, tout le monde se trouve confronté et qui ne trouveront jamais aucune réponse définitive. Il faut en faire le constat et se contenter de réponses périssable, transitoires, révocables.

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Quelle tournure d’esprit nous faut-il pour retrouver une capacité d’action minimale à la mesure des épreuves qui s’annoncent ?

Quatre principes fondamentaux tout d’abord :
1. Ne pas attendre pour agir d’être absolument certain de réussir. Ce serait s’imposer des exigences auxquelles on ne peut satisfaire. Nous devons nous résigner à une certaine imperfection et prendre des risques, à condition cependant de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour en minimiser la portée.
2. S’agissant de la pensée, rien ne saurait être dissimulé, aucun savoir secret n’est admissible. Tout ce qui peut être explicité doit l’être absolument. Une connaissance ésotérique est tout ce que vous voudrez, sauf légitime.
3. Il est essentiel de toujours considérer les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait qu’elles soient. Pour cela, nous devons être attentifs au rôle ambigu que prend le désir dans toutes nos entreprises. Présent dans toute démarche, le désir la motive mais l’infléchit aussi lourdement.
4. Enfin, nos capacités cognitives sont limitées et pâtissent de nombreux biais qu’il faut absolument connaître pour en compenser les effets.

A ces principes s’ajoutent certaines options personnelles, discutables comme le sont tous les choix.
1. Ce blog est un exercice de langage et il est normal que la question du langage y tienne un rôle central.
2. Quand nous parlons du réel, c’est un discours que nous produisons. Le discours n’est pas la chose ou plutôt l’état de choses dont il traite. Les propriétés du discours et en particulier ses limites doivent être parfaitement explicites si nous prétendons rendre compte du réel.
3. Je suis fortement influencé par certains auteurs qui m’ont nourri. Je les ai rencontrés comme on rencontre un professeur au cours de ses études, c’est-à-dire sans les avoir forcément cherchés. Je citerai Marx, Freud, Nietzsche, Lacan et Wittgenstein, ainsi que celle qui fut l’inspiratrice de mon adolescence : Simone Weil. Pour autant, je ne me déclare aujourd’hui ni marxiste, ni freudien, ni lacanien, ni… J’ai bien essayé de faire allégeance à telle ou telle obédience, mais cela n’a jamais vraiment fonctionné. Pour autant, je ne crois pas me situer au-delà de ces auteurs, comme s’ils étaient à ma merci. Réfractaire au psittacisme, je préfère prendre le risque d’articuler maladroitement des banalités plutôt que de répéter aveuglément d’habiles paroles que chacun peut aller puiser à leur source.
4. Le champ des sciences n’englobe pas et n’englobera jamais l’ensemble des activités humaines. Nous ne sommes donc pas en mesure de fonder notre existence sur des certitude. Cependant, nous avons besoin de prendre appui des données stables, que j’appelle des convictions. Je distingue donc rigoureusement les certitudes (ce qui est effectivement démontré), les convictions (croyances suffisamment probables pour qu’on puisse les traiter comme si elles étaient vraies) et les opinions qui peuvent fortement évoluer au gré des circonstances. Une conviction doit être toujours reconnue comme telle et doit pouvoir être justifiée par des arguments rationnels.

Voici donc une liste, forcément incomplète de mes principales convictions. Elles organisent ma pensée et structurent ma vision du monde. Pour autant, ce ne sont pas des vérités absolues. On n’échappe pas à certaines croyances, d’où la nécessité d’en user avec parcimonie, le plus rationnellement possible, sans jamais tenter de les faire passer pour des certitudes.
On ne prouve pas l’existence de Dieu, mais on ne prouve pas non plus son inexistence. Aucune certitude n’est possible sur ce point. Il s’agit uniquement de déterminer si cette affaire nous concerne ou nous est totalement étrangère. Nous devons être très parcimonieux en matière de croyances ; mais celle que nous avons nous devons les avouer sans hésitation. Chaque croyance signale un carrefour où s’offrent plusieurs directions possibles.

1. J’ai la conviction que nous sommes arrivés à un point crucial de l’histoire de l’humanité. Les belles illusion du progrès se sont brusquement dissipées et il s’agit aujourd’hui de serrer les rangs pour éviter le naufrage. Cette conviction oriente l’essentiel de ma démarche. Pour autant, mon propos n’est pas de dire comment on luttera contre le dérèglement climatique par exemple, ce que d’autres que moi font avec bien plus de pertinence que je ne le puis, mais de chercher à savoir comment, en amont, modifier notre approche mentale de la question.
2. J’ai la conviction que le monde n’est pas animé par une intelligence supérieure. Je ne suis ni religieux ni superstitieux, ce qui veut dire que jamais l’idée de la présence ou de l’action d’une divinité n’intervient dans ma manière de penser et de concevoir mon existence. L’adhésion à un tel système de croyance me paraît inconcevable en ce qui me concerne.
3. J’ai la conviction que le fait du langage nous oblige à distinguer rigoureusement des plans distincts. Ainsi le réel est-il irréductible à tout ce que nous pouvons en dire. Réel et représentation relèvent donc de deux ordres différents. Pour ma part, la distinction lacanienne entre réel, symbolique et imaginaire structure toute ma démarche.
4. Je refuse toute explication finaliste de l’état du monde. Un état de choses ne saurait être appelé pour aboutir à un autre état de chose qui soit son destin. Le réel n’a pas de projet, il ne tend vers aucun but. La notion de projet est strictement humaine : nous avons effectivement des projets que nous tentons d’inscrire avec un succès relatif dans un réel qui n’est rien au-delà de ce qu’il est.
5. Je n’admet donc pas comme allant de soi que tout soit fait pour coïncider, pour tomber juste, qu’il y ait toujours un point d’équilibre, que le réel soit miraculeusement adapté à la réalisation de nos désirs. Au contraire, nous nous cassons les dents dessus en permanence ; mais c’est de là que nous tirons des ressources indispensables pour durer et même un peu plus que cela.