Nous allons donc consacrer plusieurs semaines à un texte de Lacan intitulé L’Instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud. Quiconque suit ces articles au rythme de leur parution devra s’armer de patience, car la route sera longue.

A quoi bon parler d’un texte ? Ne suffit-il pas de simplement le lire ? Le texte est là, disponible pour le prix d’un livre de poche (Jacques Lacan, Ecrits I, pp. 490 – 526, Editions du Seuil), et chacun peut en prendre connaissance sans s’infliger le détour d’un commentaire.
Plus encore, un commentaire ne saurait se substituer à la lecture du texte. Il a au contraire cette lecture préalable ou simultanée comme présupposé. Ce point ne doit souffrir d’aucun malentendu.
Je m’insurge d’ailleurs vigoureusement contre cette méthode du « digest » qui consiste à offrir des versions abrégée ou des résumés visant à dispenser les lecteurs pressés ou – qui sait – trop doués, de perdre leur temps. De tels produits ne permettent qu’une apparence de lecture et conduisent à une illusion de compréhension.
Cela dit, nous devons prendre acte du fait que les textes de Lacan ne se lisent pas comme des romans ni même comme l’immense majorité des textes académiques et qu’ils ont la fâcheuse propriété d’égarer le lecteur trop pressé ou même un lecteur scrupuleux et attentif, mais insuffiamment averti.

– La lectrice ou le lecteur peu familiarisé avec les travaux de Lacan peut tirer un bon parti de ce texte à la condition d’admettre sa difficulté et de ne pas se laisser décourager. Nous tenterons de l’accompagner, en soulignant ce qui est important et en l’invitant, surtout, à ne pas se contenter d’une seule lecture.

Mais pour y trouver quoi ?
En premier lieu, de précieuses indications sur ce que Lacan appelle le tournant freudien, donc sur l’insistance avec laquelle Lacan reproche aux successurs de Freud de n’avoir pas su mesurer à quel point les découvertes freudiennes marquent une rupture non seulement dans le traitement des troubles mentaux, mais dans la conduite de l’existence humaine en général. La notion même de raison se trouve affectée (voir le titre) et doit être revue dans la perspective ouverte par Freud.
On y trouvera en outre une théorie de l’inconscient et une réponse à la question de savoir ce qu’est l’inconscient freudien dans la lecture – à notre sens pertinente – que Lacan fait de Freud.
Par ailleurs, à condition de s’appuyer sur d’autres textes fondamentaux, celui-ci constitue une bonne introduction à la conception lacanienne de l’analyse. Nous reviendrons sur ce point en tâchant d’orienter au mieux le lecteur.
Mais surtout, on y trouvera une présentation complète de la question du langage du point de vue lacanien et des rapports entre la réflexion psychanalytique et la linguistique saussurienne (selon Lacan).

– Un lecteur déjà introduit à Lacan y trouvera le développement de la fameuse formule lacanienne : L’inconscient est structuré comme un langage.
Nous ferons assez clairement le tour de la question.
Il y trouvera également un développement sur la structure du langage, ce que Lacan appelle – à tort ou à raison – l’algorithme saussurien :
– distinction entre signifiant et signifié;
– définition du signifié comme fonction du signifiant ;
– rôle central de l’opposition métonymie et métaphore dans la construction du discours.
Il y trouvera enfin la démonstration, fondée sur la pratique analytique, de l’homologie entre structure du langage et structure de l’inconscient.

______________________________________________________

Nous en retirerons donc essentiellement :
– une définition non ambiguë de l’inconscient freudien selon Lacan;
– une définition des axes principaux de la pratique analytique ;
– l’essentiel d’une théorie du sujet ;
– une description et une réfutation des dérives de la psychanlyse post-freudienne.

______________________________________________________

Pour faciliter l’accès au texte, nous superposerons deux approches. Nous donnerons d’une part un commentaire traditionnel, suivant le cours du texte, fait de remarques visant à faciliter l’accès à celui-ci. Mais entre deux phases de commentaire, nous intercalerons des textes plus synthétiques visant soit à préparer le lecteur soit à proposer une synthèse des éléments abordés dans le commentaire.
Cela dit, nous ne prétendons en aucun cas expliquer le texte, nous en formulons une lecture particulière, ce qui veut dire qu’il y en a forcément d’autres et que chacun doit trouver la sienne.
On ne saurait prétendre s’exprimer à la place ou au nom de l’auteur ou du moins de son fantôme, dans l’idée d’expliquer autrement, voire mieux que lui, plus pédagogiquement que lui, ce qu’il a si curieusement voulu dire, comme si l’on était effectivement capables de le savoir, comme si, par je ne sais quel miracle, on maîtrisait mieux le sujet que l’auteur lui-même. On peut parler à partir d’un auteur, au risque de toutes les dérives que cela comporte inévitablement, mais non pas à sa place.
Un lecteur avisé s’en tiendra donc strictement à sa propre expérience de lecture. C’est là, à mes yeux une proposition fondamentale. Une interprétation n’est jamais qu’une création de sens, avec l’espoir que le sens créé présentera un nombre suffisant de point de corresponsance avec les intentions de l’auteur, intentions qui de toute manière nous échappent. C’est donc la cohérence avec laquelle l’interprétation s’articule sur le texte de départ qui fait foi. C’est une tentative d’ajustement des moyens du lecteur sur la production de l’auteur, ce qui n’est possible que dans et par l’élaboration d’une production nouvelle. Il n’y a pas d’un côté l’écriture et de l’autre la lecture, mais un processus d’écriture à plusieurs voix qui ne s’arrête jamais.